GTO, le manga trop XX° siècle

GTO pour Great Teacher Onizuka, est un manga à succès démarré en 1997 et terminé en 2002. Il s’agit de l’histoire d’un délinquant qui veut devenir enseignant. D’après le site Wikipédia, en 2007, il y aurait 50 millions de tomes qui se seraient déjà vendus. Est-ce bien raisonnable ?

Le monde a changé.

Si je devais synthétiser mon ressenti, je crois que la pensée de Gilles est la meilleure : « Michel Leeb, il y a 40 ans avait un grand succès ». Pour ceux qui ne connaissent pas Michel Leeb, c’est ça :

Nous sommes dans un sketch totalement raciste qui était le fonds de commerce de l’artiste. L’africain, le chinois, tout y passe dans les clichés raciaux. Il faut aussi se rappeler Jean-Marie Bigard qui remplissait les salles et les stades avec des propos sexistes, outranciers pour les femmes. Nos comportements ont radicalement changé. Ce qui finalement était plébiscité hier est aujourd’hui passible de sanctions ou en tout cas particulièrement mal vu.

Sur le fait culturel, ce n’est pas la première fois que j’évoque la problématique, notamment pour le cas Disney ou Tintin. Je notais que de grandes sociétés avaient tendance à effacer les traces de leur passé, pour éviter l’opprobre. Mais dans mon propos, je précisais que je trouvais qu’il était dommage pour des œuvres quasiment centenaires, que je qualifierai d’historiques, de mettre la poussière sous le tapis. Il est toujours dangereux de manipuler l’histoire quand il faut l’expliquer.

Avec GTO, un manga qui date de 25 ans, pouvons-nous vraiment parler d’histoire ?

GTO le garçon qui voulait devenir professeur pour se rapprocher des jeunes filles

Onizuka est donc un jeune homme désœuvré qui passe son temps à regarder les culottes des lycéennes. Il réalise en fin de compte que pour se rapprocher d’elles, il lui suffirait d’être enseignant. Il finit par y arriver, et se retrouve professeur principal d’une classe de collège en troisième avec des enfants de 14 ans. Onizuka a 22 ans.

Cette classe est une classe difficile et nous allons nous retrouver dans une situation où les élèves sont les ennemis. Il va, au fur et à mesure des tomes qui se succèdent, les « vaincre » en les faisant basculer de son côté. Il faut comprendre que derrière chaque élève, une souffrance. Et forcément, comme GTO est le plus grand professeur du monde, il va réussir à régler les problèmes.

L’idée de la bande dessinée, c’est de montrer une très grande majorité d’enseignants comme des gens qui considèrent des élèves comme des déchets. Ainsi Onizuka, « déchet » lui-même, rejeté par ses pairs, peut facilement comprendre les jeunes. Les méthodes de GTO sont assez radicales puisqu’il règle souvent les choses par la violence.

Pour venger un de ses élèves, il n’hésite pas à attacher trois jeunes filles les fesses à l’air avec des inscriptions dessus. Ancien voyou, il utilise sa force physique pour venir à bout de certaines situations. Force de la nature, il passe un examen avec trois balles dans le corps pour finir premier du Japon.

Onizuka avec une tête de pervers

Personne ayant autorité, pédophilie, sexualisation des jeunes filles, enseignants pervers

La problématique d’un homme comme Onizuka c’est son charisme. Il finit par séduire l’ensemble des élèves qui le trouvent cool. Il n’est plus vraiment leur professeur, mais plutôt un grand frère, un grand frère pervers. La sexualisation des filles qui sont pourtant seulement des jeunes filles de 14 ans est omniprésente. Les situations dans lesquelles se retrouve Onizuka sont malsaines.

Et ce qui est particulièrement gênant, c’est qu’en fin de compte, alors qu’il est globalement idiot, immature, violent, on lui pardonne. En effet, comme il a un grand cœur, le lecteur sera indulgent avec le héros. A contrario, il faut comprendre que l’attrait pour les jeunes filles dans le manga est partagé par toute la profession. Le sous-directeur par exemple qui n’hésite pas à faire des attouchements dans les transports en commun. Le professeur de sport qui prend un rendez-vous avec une jeune fille pour avoir des relations sexuelles. Ou encore l’enseignant d’anglais qui utilise des caméras espions pour filmer sous la jupe des filles.

Il apparaît ainsi que l’ensemble du corps professoral japonais est décrit comme des pervers qui seraient dans ces postes pour se rapprocher des jeunes filles. Une technique de traque proche de celle des pédophiles. Le pervers dans le manga est un grand classique. J’évoquais Happosai dans le manga Ranma 1/2 ou encore tortue géniale dans Dragon Ball. Il s’agit d’un personnage récurrent, souvent âgé et en fin de compte souvent impuissant face aux jeunes filles.

Dans GTO le rapport de force n’est pas du tout le même, puisque nous sommes face à des jeunes qui sont sous l’autorité de ces adultes, ce qui rajoute un côté encore plus malsain au manga.

Le sous-directeur de l’école

Est-ce que j’en fais trop ? Pas tant que ça.

Il faut comprendre qu’en ayant 48 ans, en étant un homme, il est difficile de déconstruire ses héros. En effet, Benjamin a fait dernièrement un article sur Sly. Nos héros de jeunesse sont des hommes musclés, qui réglaient tout à coup de fusils, et pour qui les femmes tombaient dans les bras.

On ne peut pas nier que lorsqu’on se construit en tant qu’enfant, en tant qu’adolescent, nos repères, nos modèles sont nos proches. C’est aussi la société dans laquelle on vit, la culture. Nous avons grandi avec l’image d’un homme fort, qui ne pleure pas, qui ne dévoile pas ses sentiments et qui règle tout à coup de poings.

Vous noterez que j’ai changé l’illustration pour passer de GTO à Scarface. Tony Montana est un personnage qui revient très régulièrement dans les chansons de RAP des années 90, même parfois actuellement. Pourquoi ? Parce qu’il symbolise l’un des premiers héros mauvais auquel il était possible de s’identifier, le bad boy. Lorsqu’un artiste écrit sur un film qui l’a marqué à ce point, il serait difficile de ne pas penser que le « héros culturel » ne contribue pas à notre construction.

Al Pacino (Tony Montana) dans Scarface

Aujourd’hui, en lisant GTO, que je n’avais pas lu en entier il y a 20 ans, ma lecture sur le personnage est radicalement différente d’à l’époque. J’ai 20 ans de plus, j’enseigne et je trouve nécessairement le comportement du personnage totalement déplacé. À l’époque, je le trouvais super fun. Je voyais dans cet individu décalé quelqu’un d’entier à qui on pouvait finalement pardonner ses travers. Il y a des travers qu’on ne pardonne pas et qui vous mènent en prison, Onizuka et l’ensemble de ses collègues les ont.

Où commence la censure ?

Orlesan est l’exemple même de la séparation entre l’artiste et la personne. Si vous avez l’occasion de regarder la série « Montre Jamais ça à Personne », il apparaît comme un type sympathique alors que ses textes sont horribles. Il le rappelle dans ses chansons, il a gagné ses procès, ce qui veut dire que la justice et c’est tant mieux arrive à faire la distinction entre liberté d’expression, actes et individu.

Lorsqu’un acteur est accusé de viol, il ne s’agit pas d’un de ses personnages mais bien de lui. Lorsqu’en outre un chanteur explique qu’il va « Marie Trintigner » une femme qui l’a trompé, nous sommes dans la partie imaginaire, dans la liberté d’expression, dans l’art.

Et pourtant, si on écoute le rap actuel, la musique de nos enfants, avec les héros qu’ils se construisent, on peut toutefois être interpellé. Argent facile par la drogue, la promotion des armes à feu, des relations sexuelles dégradantes pour les femmes, homophobie, la violence. Pour les influenceurs, le mode de vie, c’est de sauter dans le premier avion pour aller à Dubaï, encore l’argent facile, la superficialité.

Éduquer plutôt qu’interdire

Quand nos héros étaient des hommes, des vrais, les héros d’aujourd’hui n’apportent pas une image plus saine qu’à notre époque. À l’époque, quand Michel Leeb caricaturait les africains, nous avions tous tendance à reproduire ces comportements racistes. Aujourd’hui, je suis le premier à le regretter, comme tous les propos que j’ai pu tenir qui ont blessé les autres. Si quelqu’un m’avait expliqué qu’en fin de compte ce n’était pas drôle qu’on fait de la peine aux gens, j’aurais peut-être adopté un autre comportement que de vivre dans le cynisme.

Il est regrettable qu’aujourd’hui, nos jeunes soient noyés dans les images et que nous ne prenions pas le temps, notamment à l’école, d’expliquer pourquoi ce qu’on voit n’est pas forcément le modèle idéal.

Je n’ai pas la solution. Ce que je sais toutefois, c’est qu’en tant qu’éducateur, quand j’en ai l’opportunité, j’essaie d’expliquer à mon échelle. Il me paraît primordial d’écouter les jeunes et de tenter de parfois les faire réfléchir sans censurer. Si vous avez des jeunes dans votre entourage, prenez le temps d’écouter, de discuter sans juger.

Dernièrement est passé le documentaire, Mangas une révolution française. C’est particulièrement intéressant pour ceux qui ont mon âge car c’est une époque que nous avons connue. À cette époque, on parlait de japoniaiserie quand aujourd’hui le manga est le style le plus lu en France. Les conversations avec nos parents étaient totalement impossibles puisqu’on était vu comme des crétins. S’il peut être tentant de jeter tous les réseaux sociaux et ce que regardent nos jeunes, il faut encore essayer de comprendre, de s’intéresser et de discuter de contenus qu’on connait un peu.

Le jugement est la meilleure manière de bloquer toute forme de communication et de dialogue avec nos jeunes. Un dialogue fondamental car un éclairage bienveillant dans certains domaines est primordial.

2 Comments

  1. Bien vu. De nombreux personnages paraissent aujourd’hui dégoutants.

    Pour Tony Montana, en dehors de notre génération et de celles de nos parents (j’ai 50 ans), je vois un autre attrait envers ce personnage. C’est le roi de la cocaïne. L’augmentation de sa consommation ces 30 dernières années, de par la baisse de prix, a fait qu’il est très fréquent d’en trouver « un peu partout ». Le rap en parle, en consomme et ça ne se limite ni au rap, ni à son public. La cocaïne est « fun » dans l’imaginaire collectif.
    L’image de Montana devant sa poudre, devenue « meme » (avec ses détournements), en atteste.

  2. Merci pour le lien vers le documentaire ! Je viens de le voir et, même si je suis plus jeune que ceux qui ont vu débarquer Goldorak à la télévision, ça m’a rappelé une bonne partie de mon propre chemin. Vraiment à voir pour tous les fanas ainsi que pour les curieux bien sûr 🙂

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