Comment un artiste a planté Google Maps

Il s’agit d’une expérience relativement ancienne, je trouve qu’elle reste pertinente pour montrer les limites de tout système aussi important soit-il. Il s’agit ici d’un artiste qui a lourdement perturbé Google Maps. C’est une vidéo que j’ai diffusée en cours de SNT avec une réflexion qui va plus loin que « trop facile de tout planter ».

L’expérience de Simon Weckert

Simon Weckert, se définit comme un artiste du numérique. Sur la page de son site, pas évident de décrire ce qu’il fait exactement. Remarque d’ailleurs purement technique, son site n’est pas en https, ce qui ne fait pas vraiment sérieux. En 2020, il réalise la performance suivante, pour reprendre l’expression consacrée. Un individu se promène dans les rues de Berlin avec 99 smartphones. Les algorithmes de Google Maps vont interpréter la masse de smartphone comme un embouteillage géant. En conséquence, les automobilistes qui utilisent Google Maps vont être détournés de ces rues, car l’outil croit que les rues sont impraticables quand elles sont totalement vides.

Avec cette expéreince Simon Weckert a voulu montrer que le virtuel avait un effet bien présent sur le réel. L’argumentation va d’ailleurs bien plus loin, un site comme Airbnb remodèle les capitales pour loger les touristes au détriment des habitants. Les exemples d’impacts du virtuel sur le réel sont très nombreux, et avec la volonté des sociétés de pousser le metaverse, ce n’est qu’un début.

Pas que Google Maps, mais aussi l’éthique qui est plantée.

En SNT j’avais pris l’habitude de montrer des faits d’actualité en lien avec l’informatique. Je trouve qu’il est plus important avec cette matière d’éveiller à la réflexion que de coder des pages de CSS. La vidéo a bien évidemment fait le buzz et elle a démontré la faillibilité du système de Google Maps. Elle montre aussi que tout système présente ses limites et qu’il n’est pas prudent de se baser sur du tout informatique.

Je pense qu’il faut aussi aller un peu plus loin. Je ne pense pas que Simon Weckert se soit retrouvé dans une situation d’illégalité. En effet, rien ne vous interdit de vous promener avec 99 smartphones allumés sur vous. La responsabilité, c’est finalement du côté de Google qui utilise les données personnelles pour déterminer le trafic. C’est en effet une méthode plus économique que d’avoir des satellites ou des caméras partout pour scruter les rues.

Pas d’illégalité donc, mais une transgression de l’éthique pour moi. Imaginons que durant son expérience, quelqu’un doit emprunter d’urgence les voies bloquées. Un rendez-vous professionnel, un examen, une urgence médicale. Si un simple individu n’a pas pu honorer un impératif alors c’est grave. Simon Weckert pour faire le buzz, car c’est de cela qu’il s’agit a causé du tort à ses concitoyens. Il décrit son expérience comme du hacking, je considère que le terme est impropre. En effet, les hackers éthiques vont montrer les failles du système, les signaler, mais ne pas utiliser la faille pour en tirer profit. On ne va pas planter le système de santé pour montre qu’il y a une faille.

Les SNT au premier rang de l’éthique informatique

La notion de géolocalisation qui est donnée ici fait partie intégrante du programme des SNT. On propose d’ailleurs dans les activités, de participer au projet OpenStreetMap. OpenStreetMap est à la cartographie ce que Wikipédia est à l’encyclopédie. Il s’agit tout simplement d’une communauté mondiale qui cartographie le monde. Il s’agit ici de s’affranchir des géants du web pour proposer des cartes libres de droit. De très nombreuses personnes utilisent les cartes d’OpenStreetMap pour s’affranchir du traçage réalisé par Google. Des applications les utilisent car elles sont gratuites. En effet, rappelez-vous, si c’est gratuit, c’est vous le produit. L’expérience de Weckert le prouve, vos données personnelles sont utilisées pour établir les cartes, les trajets de Google. C’est votre façon de payer l’utilisation de l’application. Il faut toutefois savoir que les fonds de carte Google sont payants pour les sites internet. Google grâce à votre collaboration s’enrichit.

Modifier une carte est une opération complexe. Depuis l’arrivée de la SNT, il apparaît que certaines cartes ont été vandalisées, car les élèves ont fait n’importe quoi. De la même manière que Wikipédia est surveillé, OpenStreetMap est aussi surveillé, mais tout n’est pas au même niveau. Si vous modifiez la biographie d’un obscur auteur dont personne n’a jamais entendu parler, il y a de fortes chances que l’information reste en ligne un temps. De la même manière si vous modifiez les champs Élysées dans OpenStreetMap, cela se verra plus qu’un village de campagne.

Les contributeurs d’OpenStreetMap ont fait remonter jusqu’au ministre de l’Éducation nationale des demandes d’encadrement pour que les élèves et leurs enseignants ne fassent pas n’importe quoi. Il est toutefois possible d’alimenter simplement OpenStreetMap sans avoir à redessiner des routes. Dans l’exemple ci-dessous par exemple, on voit que je suis à l’origine de l’emplacement d’un restaurant dans un village.

Ils font de bonnes pizzas !

Simon Weckert a raison, l’informatique aussi virtuelle soit elle a de véritables conséquences sur le monde réel. Il est donc important d’apprendre aux plus jeunes qu’il faut faire attention dans les manipulations et que planter un logiciel ou un service peut avoir des conséquences lourdes.

23 Comments

  1. Bonjour,
    Bon comme d’hab je réagis sur une petite phrase, à savoir : « Remarque d’ailleurs purement technique, son site n’est pas en https, ce qui ne fait pas vraiment sérieux »
    Je ne vois pas pourquoi il le passerait en https, pas d’espace membre, ni de vente en ligne (en tout cas pas vu)
    En plus lorsque l’on sait que c’est google qui pousse au https … 🙂

    1. Son site va effectivement se faire dégager un beau matin parce qu’il n’est pas en https. Par le fait, je pense que le but de tout artiste, c’est d’exposer son art, de le montrer sinon tu ne publies pas. Dès que tu rentres dans une démarche de publier sur un site web, sans tomber dans le SEO à l’extrême tu fais au moins le minimum syndical. Le https aujourd’hui c’est le minimum.

        1. Comme je l’ai dit. Tu publies pour être vu, ne pas être en https c’est être pénalisé par Google, 90% des recherches au monde. Un matin les sites non https ne seront certainement plus accessibles. Je ne nie pas le fait qu’il n’y a pas de transmission de données sensibles puisqu’il n’y a pas de compte sur son site, néanmoins il assume d’être pénalisé par Google.
          Pour ma part quelqu’un qui se revendique artiste numérique, qui montre les failles de Google Maps, devrait être un peu plus à la pointe. C’est une opinion.

          1. Une dernière remarque 🙂
            On peut se qualifier « quelque chose » numérique et faire de la résistance aux décisions hégémoniques de google. Si beaucoup d’utilisateurs ne trouvent pas ce qu’ils cherchent avec google on peut s’attendre à des alternatives (qui pourraient infléchir ces choix débiles). De plus, la présence sur les réseaux sociaux renvoyant sur un site perso est certainement plus intéressant pour la visibilité. Promis je t’embête plus 🙂

    2. Le httpS permet de surfer sans que l’on sache (un tiers) précisément où l’on clique, sans que cela ne concerne que les infos envoyées.

  2. Bonjour,
    Pour aider Open Street Map il existe l’application streetcomplete. Ça simplifie beaucoup d’opérations et limite les erreurs.

  3. « Simon Weckert pour faire le buzz, car c’est de cela qu’il s’agit a causé du tort à ses concitoyens. »

    Pour qu’il est réellement causé du « tort » (en responsabilité civile), il faut un dommage réel, hors il n’y a pas eu de dommage (jusqu’à preuve du contraire). Le tort est purement potentiel dans son cas. Je dirais que son expérience permet surtout d’éveiller notre perception concernant le système de google map, notamment grâce à ton analyse concernant les données personnelles (vs les satellites). Je dirais dès lors qu’il a surtout contribuer au débat, dans une société démocratique concernant les effets de la technologies sur cette société, ce qui me semble être un avantage (même si on peut ne pas apprécié la manière dont il s’exprime). Du coup il y a non seulement pas de dommage et en plus y a une véritable contribution citoyenne , artistique et par les relais des blogs comme le tiens, il a versé au débat des éléments de réflexions politico-philosphique de certaines technologies.

    1. Dans la même veine, on avait le prof qui avait fait un faux dans Wikipédia pour montrer que les élèves prenaient tout sans réfléchir dans l’encyclopédie en ligne. Démonstration efficace bien sûr mais c’est jouer avec une encyclopédie collaborative et ne pas respecter les contributeurs pour faire sa petite démonstration. Sur le principe, on peut dire finalement que ce n’est pas si grave, je trouve que l’idée même de hack grandeur nature est problématique. Pour moi, même si comme tu le dis on n’a pas eu d’écho de dommage dans cette histoire, l’intention même si elle n’est pas de nuire, reste mauvaise.

      Il aurait pu très bien envoyer un message d’explication à Google mais seulement ça serait passé inaperçu.

      1. Je ne vois pas en quoi l’intention est de nuire, pour moi je vois qu’il apporte une sensibilisation à la question par son mode d’expression artistique. Je ne vois pas ce qu’il y a de non éthique dedans surtout qu’il ne se revendique pas comme étant un programmeur/ admin sys / devops etc. En gros, il est artiste et s’exprime par et via le numérique sur les conséquence du numérique pour sensibiliser le grand public (qui est son audience) aux questions , cela permet de faire relayé les idées de conséquences sur les données personnelles (que tu fais très bien) , ce processus me semble au contraire apporter une contribution au débat démocratique sur le sujet. La sensibilisation du grand public (le buzz tel que tu le décris) ne me semble pas un objectif moins noble en soi (et n’est pas le privilège des journalistes ) , et son mode d’expression artistique n’est pas moins noble non plus que celui d’un développeur/informaticien etc. Dès lors qu’il y a aucun dommage , je trouve plutôt dommage de condamné son objectif et son mode d’expression par l’adoption d’une perspective purement technique exclusivement, sans prendre en compte précisément la spécificité de son mode d’expression artistique.

        1. Je comprends parfaitement ton point de vue, mais comme je te l’ai dit, pour moi je ne le vois pas d’un point de vue artistique, mais d’un point vue informatique et humain. À l’époque, l’enseignant qui avait piégé ses élèves en bricolant Wikipédia avait fait le tour des plateaux télés. Les seuls qui avaient tiré la sonnette d’alarme c’étaient les libristes gardiens du temple. Ils avaient noté qu’il s’agissait d’un saccage. Dans un cas extrême, tu mets pas le feu à une maison pour montrer que le feu c’est dangereux.

          C’est aussi légitimer le fait que pour réussir à se faire entendre ou dénoncer quelque chose il faut forcément passer par du sensationnel, du visible. Tu jettes pas ton gosse sous une voiture pour lui montrer que c’est dangereux, tu espères qu’il t’écoute et qu’il prend les passages piétons.

          Je te rejoins malheureusement sur un point, si ces images n’avaient pas fait le tour du monde, nous n’aurions pas ce débat aujourd’hui, ce qui confirme que malheureusement pour être visible, pour se faire entendre, faut que ça buzz.

          1. comme je le dis dans mon commentaire plus bas, tu dis que ca fais le buzz , ce qui me semble objectivement (? par hypothèse ) le cas. D’une part, pourquoi le buzz serait mauvais (TM) en soi ? En deuxième lieu, il me semble que l’analyse soit inversé. L’artiste a fait une performance , cette performance à fait parlé d’elle, c’était son but oui. Mais cette performance a fait parler d’elle car elle nous permet une chose qui est « la prise de conscience sur le vif » des implications de Google map sur la société , cette prise de conscience amène un débat démocratique (qui me semble être sain dans une société démocratique à priori). Du fait de ce passage de l’inconscience à la prise de conscience, passage qui est l’effet performatif de l’artiste sur son audience (le grand public), cela fais le fait parlé de lui , ca buzz .

            Cela ne montre que le fait que le grand public (y compris les libristes et les informaticiens (non libriste) sauf peut être ceux de google ) était dans un état d’inconscience avant la performance et dans un état alerte après . L’objectif de sensibilisation a bien été atteint et sa contribution me semble plutôt de ce point de vue positive pour la vie démocratique. C’est la théorie sociologique que ce sont les marginaux/déviant qui permettent aux autres de pouvoir savoir se situer en quelque sorte par rapport à leur environnement .

          2. Je ne connais pas cette affaire dont tu parles par rapport à Wikipedia, cela dépends du but que c’est assigné le professeur. Du coup pour moi c’est imcomparable, dès lors je ne sais pas si cette situation est réellement assimilable à la situation de l’artiste, ou juste une analogie, ni même si c’est réellement généralisable partant de ce cas particulier.

          3. « C’est aussi légitimer le fait que pour réussir à se faire entendre ou dénoncer quelque chose il faut forcément passer par du sensationnel, du visible. Tu jettes pas ton gosse sous une voiture pour lui montrer que c’est dangereux, tu espères qu’il t’écoute et qu’il prend les passages piétons. »

            ca me semble pas comparable, ici il y a un dommage réel (le gosse) , et il n’y a pas d’audience tier (le grand public ) car tu le montres à ton gosse (qui sera mort ou en état d’ handicapé à vie pour que la leçon soit utile (mort / handicapé à vie )
            Donc il y a une position de professeur face à ton gosse, et non d’artiste . Si on condamne d’un point de vue moral, il faudrait un vrai dommage réalisé dans la situation en question, sinon toutes les situations de la vie peuvent engendrer un dommage potentiel et on ne fait plus rien au nom d’un dommage hypothétique car c’est « morale ».

      2. « Il aurait pu très bien envoyer un message d’explication à Google mais seulement ça serait passé inaperçu. »

        s’il avait fait cela, sont audience aurait été Google et pas le grand public, donc pas de sensibilisation au débat démocratique. Si on veut remettre en cause les choix technologiques unilatéraux fait par Google map , cela me semble être une mauvaise option au regard de la sensibilisation de la multitudes des utilisateurs finaux.

        1. En fait je voulais dire une option contradictoire à son objectif (c’est cela que j’entends par « mauvaise option » )

  4. Si on imagine qu’il avait fait son expérience dans le désert du Névada, ou avec le festival Burning Man, l’impact de sa performance aurait été quasi-nulle, nous nous serions rassuré qu’il ne pouvait (à priori) pas avoir de dommage et nous aurions en même temps pas pu nous rendre compte de la chose. Faire une contribution à un projet libre, en tant que contributeur à ce projet est une chose, amener une expression artistique en est une autre, comparé la comparaison à openstreet map , cette performance n’est pas comparable , nous n »avons pas les mêmes objectifs en présence (l’artiste et le libriste ). Condamné l’artiste au nom du fait qu’il n’a pas mis en oeuvre les moyens tels qu’un contributeur libriste l’aurait fait me semble une comparaison faussé dès le départ, au moins dans ce cas d’espèce. En gros le point de vue libriste ne remplace pas le point de vue de l’artiste. Dire que faire une contribution à Open Street map ou n’importe quel projet libre c’est bien (TM) , n’implique pas de considéré que la forme choisie par l’artiste c’est mal (TM). Cela précisément parce que le but de l’artiste est de contribuer au débat démocratique par la sensibilisation et non de contribuer à un projet libre concurrent à Google map.

    1. Très précisément quel en a été le prix de cette performance pour la société ? 99 smartphones payé par l’artiste ? un dommage potentiel jamais réalisé ? vs Une prise de conscience collective des implications de google map ?
      J’ajoute que s’il avait fait la même performance avec Open street map, cela n’aurait probablement pas eu cet effet de sensibilisation, sachant que le grand public utilise Google map de manière majoritaire (99 % ? ) , ce qui permet de montré le problème de dépendre des choix technologiques de Google, entreprise qui n’est pas redevable à ses utilisateurs de ses choix technologiques (lire les CGU de google) malgrès son impact sur la société. Du point de vue d’ Open street map, si ce projet (que je ne connais pas dans ses détails) fait des choix technologiques plus en phases avec ses visions éthiques/libristes (par hypothèse), et que dans ces choix , il y a notamment le fait de ne pas utilisé des datas personnelles (vs google ) ce qui pourraient pour conséquence le fait d’éviter la démonstration de l’artiste , alors cela pourrait même être un argument supplémentaire pour convaincre des utilisateurs potentiels à s’ouvrir à l’idée d’utiliser Open street map . Je pense que l’analyse de cette performance est plus complexe que simplement , c’est bien , c’est mal (TM) même d’un pur point de vue de libriste .

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