Quand misera-t-on enfin sur le logiciel libre ?

Il y a quelques actualités en ce moment qui font rager et qui interpellent tout de même sur nos politiques mais aussi sur nos fonctionnements individuels. J’ai la réponse technique, elle s’appelle logiciel libre. Par contre, je n’ai pas la réponse à la vraie question. Alors qu’on est dans un monde qui va mal, que l’étau informatique se resserre, comment se fait-il qu’on ne bascule pas vers le logiciel libre ?

La DINUM ou la catastrophe à la française

La DINUM c’est la Direction interministérielle du Numérique. Concrètement, il s’agit des gens qui vont expliquer aux agents français quels sont les logiciels qu’il faut utiliser. La cour des comptes vient de publier son rapport sur la DINUM et tire à boulets rouges. Les principaux reproches, je peux vous en parler dans mon quotidien, la création d’instabilité en fait partie. Pour le ministère de l’Agriculture ou l’éducation nationale, on compte des dizaines de portails qui comptent des tonnes d’informations. Cette problématique se retrouve dans le logiciel. L’article de ZDNET évoque Tchap la messagerie des agents de la fonction publique qui coûte une véritable fortune, mais que personne n’utilise. Les raisons sont multiples, méconnaissances des logiciels, changements réguliers.

La cour des comptes invite à l’utilisation des logiciels libres, une demande qui est faite depuis des années, mais qui ne vient pas. Une utilisation qui ne résoudrait pas tous les problèmes. Si les responsables dispersent les usagers vers des tas de solutions, quelle que soit la qualité du logiciel ou sa liberté, il ne sera pas utilisé.

Dans mon introduction, je dois reconnaître que je fais preuve de mauvaise foi. Imaginons un monde merveilleux, plein de bon sens. Demain, l’État français abandonne toutes les solutions propriétaires qu’il paye à prix d’or pour adopter le logiciel libre à l’échelle nationale. LibreOffice comme suite bureautique pour tout le monde pour donner un exemple concret. L’argent économisé dans les licences part dans les différentes fondations qui développent les logiciels, dans Linux, ainsi de suite. La France gagne sa souveraineté, elle fait des économies, nous cassons cette dépendance vis-à-vis des développeurs américains comme Microsoft.

Pourquoi, mais pourquoi ?

Pourquoi alors que c’est bien, on ne le fait pas ? Comme pour beaucoup de choses. On peut déjà évoquer l’incompétence de nos dirigeants. Ce ne serait pas la première fois qu’on a des solutions évidentes qu’on se refuse d’appliquer. Quand je vois par exemple dans un établissement important de Béziers qu’on fait créer des adresses Gmail pour les profs, je me dis que c’est de la méconnaissance. Et malheureusement cela tourne à l’incompétence. Et quand on ne sait pas, on a tendance à aller vers la facilité ou écouter les mauvaises personnes.

Je m’offre une parenthèse pour illustrer cette méconnaissance profonde. J’étais dans l’arrière-pays Audois cet été, dans un festival orienté développement durable, écologie, bio, on y vendait même des tiny house. Ces gens-là ont une véritable connaissance des enjeux climatiques, de tas d’enjeux qui nous dépassent. Et pourtant, alors qu’ils sont engagés, ils vous invitent à les suivre sur les réseaux des GAFAM. L’informatique, c’est différent, c’est quelque chose qu’on voit comme purement technique alors que l’éthique est omniprésente.

Si on en reste à la méconnaissance, c’est dommage, c’est triste, mais je franchis un pas de plus. Lorsqu’on fait le constat que notre pays, c’est magouille et compagnie, il y a fort à parier que faire travailler le copain de la société de prestation X qui développe des logiciels ou le revendeur Y, on a peut-être quelque chose à gagner en tant que politique.

Ce qui précède peut vous sembler cliché, mais face aux enjeux de l’informatique aujourd’hui, face aux recommandations d’une instance indépendante, il faut bien trouver des raisons pour lesquelles on ne franchit pas ce cap.

La France imaginaire qui passerait au logiciel libre

La première dose est toujours gratuite

Canva est un logiciel en ligne, on voit déjà le piège, particulièrement populaire. Canva permet de créer toute sorte de productions, pour les réseaux sociaux, mais pas seulement. Il remplace aisément des logiciels comme Publisher. Pour les professeurs, nous avons des comptes qui nous permettent d’avoir accès gratuitement. C’est sur la base même du spécimen scolaire qu’on vous offre. Si on vous donne un livre et que vous en achetez 150, c’était une bonne opération pour l’éditeur. Si vous offrez Canva aux enseignants, ils seront tentés de le faire utiliser aux élèves.

On retrouve d’ailleurs ce problème éthique que je soulevais plus haut. Pour un concours auquel je participe, parmi les logiciels, on proposait d’utiliser Canva. Je suis monté au créneau en signalant qu’il fallait que les enfants s’enregistrent, que l’entreprise était connue pour la récupération des données et qu’on était donc très loin des attentes de la RGPD. On m’a répondu qu’il s’agissait d’un choix parmi d’autres. Ce positionnement de mes collègues marque bien que l’incompréhension de l’informatique ne se situe pas qu’au niveau du sommet de la pyramide, mais bien en bas de l’échelle. Non seulement les gens ne comprennent rien à la technique, mais ne voient pas les enjeux. Il n’est pas en effet simple de faire comprendre qu’utiliser Word, Facebook, c’est comme utiliser un produit Monsanto.

Comme tout bon service en ligne, Canva augmente ses abonnements jusqu’à 120%. Il ne s’agit pas de jeter la pierre à Canva, en tout cas pas plus qu’un autre. Toutes les grandes sociétés de la tech procèdent de la même manière, on peut penser aux abonnements 365. Et c’est ici le même principe que la drogue. On rend dépendant l’utilisateur, le jour où il ne peut plus s’en passer, on peut se permettre d’augmenter le prix. Pour la culture, Canva augmente ses prix parce que les fonctionnalités de l’IA ça coûte cher.

Effectivement, une réalisation avec un logiciel libre comme Scribus ou LibreOffice, c’est moins intuitif, moins beau. Seulement, c’est le genre de surprise qui n’arrive pas. On peut faire le choix de s’investir dans un logiciel libre, c’est un investissement sur le long terme.

C’est l’heure de payer sa licence

Que faire pour promouvoir le logiciel libre ?

Le constat est simple. On a besoin du logiciel libre, il a du sens, il est fonctionnel, parfois moins que le propriétaire, pourtant il ne perce pas. On attend chaque année, l’année de Linux, elle ne vient pas, mais la progression continue, régulièrement, même si le pourcentage reste décevant.

Promouvoir le logiciel libre, c’est l’utiliser. Il y a quelque temps, j’avais un raisonnement différent, en considérant que l’utilisateur de logiciel libre, c’est celui qui fait remonter des bugs qui contribue par de l’argent ou par de la documentation. Pourquoi un simple utilisateur a du poids ? D’une part, on sait que le nombre compte. Lorsqu’un logiciel rassemble des millions d’utilisateurs, on en parle. On va pouvoir observer ainsi un effet boule de neige sur le principe que plus, il y a des gens pour l’utiliser, plus d’autres l’utiliseront.

D’autre part, si vous utilisez un logiciel libre, vous n’utilisez pas un logiciel privateur. C’est donc autant d’argent en moins que vous mettrez dans les caisses de Microsoft ou d’autres sociétés. Avec désormais des systèmes d’abonnements, c’est comme Netflix, il devient tout de suite beaucoup plus facile de compter les utilisateurs. En effet, j’ai encore des collègues qui utilisent des licences pirates du pack office 2007. Cette époque est à présent révolue.

L’idéal reste bien sûr la contribution en code, en documentation ou financièrement. Faire savoir que ça existe est aussi bénéfique tout comme l’utilisation. Plus on en parle, plus c’est visible, plus des gens vont s’y intéresser.

Pour moi le blocage reste tout de même au niveau des dirigeants qui n’ont pas le courage d’imposer des solutions ou d’en interdire d’autres. Je pense par exemple aux réseaux sociaux toxiques, aux dark patterns, et toute cette informatique qui pollue notre quotidien.

Un climat propice au logiciel libre

Je pense que nous sommes dans un climat propice avec quelques éléments plutôt factuels :

  • C’est la crise économique, on cherche les économies, elles sont là. Quand bien même, on donnerait 10% de ce qu’on dépense en licence au logiciel libre, ce serait de véritables fortunes qui permettraient d’améliorer les développements.
  • La fameuse souveraineté, l’indépendance vis-à-vis des GAFAM. On pourrait mettre en avant les solutions françaises, mais malheureusement, elles montrent leurs limites. Au moment où j’écris ces lignes, l’application de mon ENT bien française ne m’affiche mes messages qu’une fois sur cinq et n’envoie plus de notifications depuis la fin de l’année dernière.
  • L’arrêt du support de Windows 10 au profit d’un Windows 11 qui vous demande créer un compte, intrusif, et d’un Windows 12 dopé à l’IA encore plus intrusif apportera une ouverture indéniable à Linux.

Mais une fois encore, sans volonté des états, le logiciel libre ne fera pas de percée magique. Le dernier exemple en date, c’est l’interdiction de X au Brésil. Deux millions de plus d’utilisateurs pour Bluesky. Un tour de force politique permet d’orienter de façon radicale les utilisations. Aux états de reprendre la main sur ce problème économique et éthique.

7 Comments

  1. Bonne analyse, comme d’habitude 😉
    Mais les enjeux financiers et l’enfermement intellectuel des utilisateurs est tellement prépondérant qu’il prend le dessus sur tout le reste. La prise de conscience vient en semant des petites graines comme vous le faites… Gardons espoir.
    Bonne journée

  2. Pour l’EN et la Défense, on sait que c’est Microsoft, y’a pas trop à se tortiller du cul pour deviner pourquoi. La france est un grand pays rempli de corruption, c’est documenté toussa.
    Sinon en effet la solution viendr d’en bas, je ne parle pas du vote (lol) mais des particuliers, des petites structures (je pense aux collectivités locales), etc.
    Toi+Moi+tout ce qui le font, etc. comme disait le poète.

  3. Dans l’EN, on a les Apps edu avec une suite bureautique en ligne gratuite incluse dans une instance nextcloud. Autant y’a 5 ans, je comprends qu’on pouvait se plaindre, mais franchement, y’a du mieux, mais les habitudes enseignantes ne suivent pas.
    Pourquoi ?
    Ben parce qu’on ne nous offre aucune formation pardi !
    Les seules que je peux dégager en tant que référent numérique, c’est sur la base du volontariat sur la pause méridienne parce qu’on a flingué la formation professionnelle.

    1. Les enseignants sont à peine au courant de apps edu. Tout comme Tchap d’ailleurs, ils sont tous sur WhatsApp

      Personnellement, je n’ai jamais reçu d’information officielle sur l’existence de cette plateforme d’app.
      Je l’ai appris parce que je suis libriste.

      Ma directrice en a entendu parler l’année dernière au détour d’une réunion directeur et a fouillé parce qu’elle est à l’aise avec l’informatique…

      Fun fact : les ordis de l’école sont gérés par la commune et verrouillés pour éviter les malheurs, la suite bureautique est OpenOffice :clown:

  4. Ma solution ne plus utiliser les produits propriétaires et c’est possible puisque je le fais depuis des années et je ne suis pas informaticien.
    A pluche.
    Ps: j’ai quand même entendu dans une série, qu’elle voulait un ordinateur sous Kali Linux, ce n’était pas une série française 🙂

  5. Dans le cadre professionnel privé pour lequel je peux témoigner, souhaiter que les gens basculent sur GNU/Linux / logiciels libre est à mon sens à oublier, même sur le moyen terme. Tous les outils Microsoft sont trop implantés dans les habitudes. Les gens ne sont pas ignorants de l’exploitation de leurs données personnelles, mais ils s’en fichent. ça ne les impacte pas directement et c’est le dernier de leur soucis dans la complexité actuelle de la vie.
    Par ailleurs, les salariés qui ont un laptop PRO (windows) l’utilisent aussi dans le perso. Ils ne font pas l’achat d’un ordi perso supplémentaire qu’il devront en plus prendre du temps à comprendre / maintenir sur un autre OS. Ajouter à ceci le désintérêt progressif des plus jeunes pour la compréhension de l’outil informatique ainsi que l’utilisation du mobile comme outil principal de distraction, et pour moi le combat pour promouvoir le libre est un combat de passionnés qui sont parfaitement conscient du caractère vain de leur combat (si leur combat est que Linux soit « largement » adopté).
    Je suis le premier à admettre que les outils Microsoft et le fonctionnement général de cette entreprise sont à gerber mais sans volonté ferme pour le changement de la part des grandes entreprises, il n’y a à ce jour absolument rien a attendre.
    Désolé pour la réflexion de comptoir, je ne suis pas informaticien, mais c’est mon ressenti d’un ancien utilisateur de Mint.

    1. Il n’y a pas plus de réflexion de comptoir dans la tienne que dans la mienne. Je reste tout de même convaincu de la force de la politique. Si on prend le cas de l’état et pas d’une entreprise qui fait ce qu’elle veut de son argent, on a l’exemple de la gendarmerie encore sous Ubuntu. Parfois, il faut simplement le vouloir pour le pouvoir.

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