La rentrée scolaire s’accompagne des traditionnels problèmes techniques. Et si on réfléchit bien, il y a 20 ans, le seul problème technique qu’avait le prof de maths, c’était de retrouver la règle, l’équerre jaune pour le tableau. La technologie depuis est passée par là, apportant plus son lot de problèmes que de solutions. Alors que le mot sobriété était banni de la campagne électorale, il devient de plus en plus présent. L’image de l’Amish et de sa lanterne disparait au profit d’individus qui font durer la planète. S’il y a bien un secteur « épargné » par la sobriété, c’est l’éducation.
Au début, une envie de TBI
Il y a quatre ans, lorsque notre nouveau chef d’établissement est arrivé, il a fait installer des TBI. Sa volonté à l’origine consistait à donner un côté attractif, un côté neuf. Au début, j’ai exprimé l’idée qu’il serait plus judicieux de mettre de l’argent dans autre chose. Néanmoins, je ne suis pas là pour contester les décisions de mon chef, d’autre part n’ayant jamais utilisé la technologie mon opinion n’était qu’un sentiment.
J’ai fait donc partie des premiers installés dans l’établissement pour au moins deux raisons. On savait que je saurais l’utiliser, on savait que j’allais l’utiliser. Après quatre ans d’utilisation intensive, c’est un outil que j’utilise systématiquement et que j’apprécie de façon partielle.
Ses avantages : intuitif, ludique, pratique dans certains aspects comme la possibilité de faire des captures rapides, de surligner.
Ses inconvénients : peu précis, pour les maths, je trouve que cela ne pardonne pas. Une écriture quand même dégueulasse, des soucis réguliers de calibrage, des bugs, une perte de temps dans l’ensemble. En effet, changer pour la gomme, le stylo, la taille de l’écriture, sont autant d’actions où l’on perd du temps. Et si moi, je perds du temps, force est de constater que pour les élèves, c’est encore plus important. Certains n’ont jamais utilisé l’outil, l’écriture est illisible, les bracelets ou les manches font des traces, etc.
Les problèmes arrivent
Quatre ans sont passés, les installations ont coûté 7000 € environ. Dans l’éducation, pas qu’un problème de sobriété, mais un problème de coût. Tout coûte cher avec une véritable surenchère. On le voit typiquement sur le mobilier, le matériel de physique-chimie, les prix sont multipliés sous couvert qu’il s’agit des écoles, donc de l’argent public. La région a subventionné, mais en cas de casse ou de problème, c’est à notre charge.
Les calibrations arrivent de plus en plus régulièrement, deux TBI ont le tactile qui ne répond plus, on suppose que la dalle a rendu l’âme. Il faudra donc changer et c’est plusieurs milliers d’euros de facture qui s’annoncent. Il semblerait que les problématiques que nous rencontrons soient connues et qu’elles vont se multiplier.
Je reste dubitatif quant à la qualité du matériel, mon épouse a un TBI avec des capteurs qui a franchi le cap des 12 ans. De là à parler d’obsolescence programmée, il n’y a qu’un pas que je franchis. Car désormais le TBI c’est fini. Ce n’est pas moi qui le dis, mais l’ensemble des prestataires qui vendent ce matériel. En effet, l’avenir est dorénavant à l’écran numérique interactif, une nouvelle aberration.
Il s’agit de tablettes géantes qui embarquent une version d’Android. L’appareil seul coûte 4500 € sans l’installation. Qui dit Android dit obsolescence. J’ai eu régulièrement en main des tablettes tactiles géantes, elles ne vivent pas très longtemps. D’une part, elles lâchent physiquement, d’autre part les versions Android bloquent rapidement dans l’installation des logiciels. En effet, la version n’est plus suffisante pour installer l’application ou tout simplement les capacités de la machine ne suivent plus.
Je note de plus que je ne trouve pas de simples écrans 86 pouces tactiles pour simplement brancher à un ordinateur. Tous embarquent Android
L’urgence de la sobriété dans l’éducation
J’ai interpellé mon chef d’établissement sur la situation et la suite à donner. Il faut en effet concevoir le principe de gouvernance globale dans un établissement. Dans ma salle de classe, mon TBI est HS. J’ai ressorti les feutres. Ce n’est pas un problème. Toutefois, il y a deux problèmes majeurs pour moi. Le premier, c’est l’équité entre les élèves dans un même établissement scolaire. Le second, c’est que je dois adapter ma pédagogie par rapport à la salle de classe. Je n’ai pas construit mes cours autour du TBI mais si c’était le cas, cela voudrait dire que je devrais refaire mes cours par rapport au matériel. En voyant la situation actuelle, je vais de plus en plus construire en tenant compte que j’ai un simple vidéoprojecteur qui d’ailleurs me suffit, et je ne suis pas le seul.
J’ai interpellé certains de mes collègues. Pour beaucoup, un vidéoprojecteur de qualité, une barre de son, un ordinateur portable dans la classe est suffisant. Aucun n’a construit ses séances de cours avec les fonctionnalités du TBI. Beaucoup se plaignent de la qualité de leur écriture, qu’ils trouvent dégradée. Le tactile n’est donc pas leur priorité. Tactile qu’ils utilisent peu, ou pas.
Il faut comprendre que la course en avant qu’on nous impose est nocive. Les enseignants ne sont pas maîtres des technologies qu’ils utilisent, ils les subissent. La majorité de mes collègues maîtrisent à peine le TBI qu’il faudrait passer aux écrans numériques. Certes, nous avons eu les TBI sur le tard alors que ça fait 20 ans que ça existe, mais tout de même. Il faut comprendre que l’invasion des nouvelles technologies en vingt ans, ce n’est pas que le TBI. L’ordinateur indispensable, les ENT, les langages de programmation. Mais aussi les nombreuses plateformes qu’il faut utiliser, qui de plus ne fonctionnent pas toujours correctement.
Pas besoin d’être enseignant pour comprendre que les promesses de l’informatique d’une vie simplifiée n’ont pas été tenues. Au contraire, c’est plus compliqué qu’avant. Il faut aussi comprendre que la masse des acteurs qui gravitent autour de nous ont tout intérêt à nous faire renouveler les technos sans se soucier du bien-être des équipes et de l’intérêt pour les élèves.
La peur de dire stop
La sobriété dans l’éducation arrivera par la base. Des établissements scolaires entreront dans une forme de rébellion, car il s’agit d’une volonté de ne pas suivre les effets de mode. Le TBI est-il vraiment indispensable dans nos pédagogies ? Qu’apporte-t-il au moins pour l’écriture de plus que le tableau noir et la craie ? Rien pour ma part. Seulement expliquer qu’on est à la craie et au tableau noir dans un monde dans lequel il faut une iPhone et des Apple Watch c’est un aveu de ringardise.
Le problème de la sobriété, c’est qu’elle fait peur. Au lieu de voir en elle une planche de salut, on juge que c’est une privation ou un retour en arrière. Dans nos établissements scolaires, à cause de la pression des prestataires informatiques, on nous fait croire que l’informatique rend meilleur. C’est faux. Les classes tablettes, les heures passées devant les écrans n’augmentent en rien les performances des élèves. La Suède, dont on vante le modèle éducatif, veut revenir aux manuels scolaires.
Il faudra du courage pour appliquer une sobriété dans l’éducation pourtant si indispensable. Car en fin de compte, quand on reproche le suréquipement de nos enfants entre les écrans, les réseaux et les gadgets, que montre l’école ? L’école actuelle montre qu’on ne s’inscrit pas dans la durée, mais dans les modes, qu’on cède aux nouvelles technologies.
L’exemplarité dans les usages, une école qui montre qu’on peut faire durer le matériel, qu’on n’est pas obligé d’avoir une salle de classe qui ressemble à un cockpit d’avion, serait une école qui ferait du bien à tout le monde. Il faut avoir le courage de repenser d’urgence les usages numériques. La dispersion de ces dernières années n’a rien amené de bon.
Remarque : sur Mastodon on m’a fait part de la solution Vmarker qui permet de transformer un tableau blanc en TBI pour une petite centaine d’euros.
Et puis même la qualité du tableau blanc, ce n’est plus ce que c’était…souvent parce qu’on met de mauvais produits dessus pour nettoyer.
En plus on a perdu le crissement de la craie pour tester les tympans des jeunes :p
bonjour
merci pour cet article intéressant mais dont je trouve les idées un peu trop fortes.
Le numérique nous a amené les mails, les cloud, et autres interactions qui facilitent nos échanges, concertations, diffusion d’informations, … Entre tous les membres des établissements, les élèves, les familles.
Avant, il n’y a avait pas ces problèmes mais il y en avait d’autres : informations qui circulaient mal, nécessité de communiquer aux horaires acceptables, …
Le TBI et autres tableaux numériques, je n’en ai pas encore trouvé l’utilité suffisante pour y construire mes cours ou y voir passer l’argent. Je suis alors bien d’accord avec vous.
En tant que prof de maths également, je crois que notre discipline n’est pas une discipline demandant absolument ces outils, même s’ils sont utilisés par certain.e.s. Ce n’est pas l’outil qui fait la compréhension.
Mais je comprends que d’autres disciplines puissent les voir comme des outils vraiment de progrès pour l’enseignement.
Bonne année à tous, avec ou sans technologie.
Ce matin avant 8h j’avais déjà reçu quatre mails. Actuellement je constate 20 mails pros par jour, avec parfois des mercis. Auxquels je dois rajouter educagri, auxquels je dois rajouter ceux d’ecoledirecte. Nous sommes noyés dans l’information à toute heure, et en fin de compte il y a 20 ans ça ne communiquait pas si mal. D’ailleurs, on notera qu’on mise tout sur l’IA pour faciliter notre quotidien, ce qui laisserait sous-entendre que nous sommes noyés dans l’informatique. Dans l’éducation, comme ailleurs, nombreux sont les outils qui ne répondent pas à nos besoins, mais à ceux des développeurs qui ont des logiciels à vendre.