Préambule
Les licences libres, vaste débat, pas franchement simple à expliquer et pourtant même l’ancien président des États Unis est concerné : Trump accusé de violer la licence de Mastodon pour son réseau social Truth Social. La quasi-totalité des programmes que vous utilisez aujourd’hui utilisent du code libre. Un logiciel libre, du code libre c’est quelque chose que vous pouvez prendre, modifier, réutiliser, à partir du moment où vous laissez d’autres faire la même chose. Le logiciel libre français le plus connu, c’est certainement VLC. Tout le code de VLC est disponible, vous pouvez le prendre, le lire, et même proposer des améliorations.
Cette notion de liberté logiciel a connu de nombreuses extensions : musique, vidéo ou dessin. Par exemple, la fondation Blender édite le logiciel de réalisation 3D met à disposition du public l’intégralité de ses sources. Des dessins qui permettent de réaliser les courts métrages qu’elle propose chaque année.
Je peux reprendre le lapin et le reproduire à l’infini, le modifier, l’améliorer si je laisse le droit à d’autres d’en faire autant sur mes modifications. Odysseus libre est un dessinateur qui réalise sous Licence libre, nous nous connaissons depuis bien 10 ans et il fait l’intégralité de mes bannières. Celle de restez-curieux mais aussi celle du magasin école de notre lycée avec Benjamin.
Je lui ai posé quelques questions pour qu’il explique ce choix si particulier et les conséquences. En effet faire le choix de distribuer librement son art ou ses logiciels ce n’est pas la même chose que d’essayer de vendre.
Présentation
Je m’appelle Eric. J’enseigne le néerlandais aux 12-14 ans dans une école secondaire belge francophone.
Pour les loisirs, j’aime la musique, la lecture, les amis, le grand air et j’essaie de rester curieux. 🙂
Qu’est ce que l’art libre
La licence Art Libre est une licence dite libre.
On connait tous le droit d’auteur, appelé copyright que l’on pourrait qualifier de licence d’exclusivité dans le sens ou elle interdit toute exploitation, copie, transformation sans l’accord préalable de l’auteur, qui n’est d’ailleurs pas obligé d’accepter. Une œuvre sans mention de licence fait l’objet de facto du copyright.
La licence Art Libre est également appelée copyleft. Un petit jeu de mot qui l’oppose au copyright : right signifie droit ou…droite. Dans copyleft, il y a le mot anglais left qui signifie gauche mais qui est également le participe passé de leave qui signifie laisser.
Contrairement au copyright, le copyleft autorise par défaut la copie, la diffusion, la modification des œuvres favorisant ainsi sa propagation et son utilisation. Toutefois, cela ne se passe pas sans conditions. Il faut que le nom de l’auteur de l’œuvre soit mentionné, avec idéalement l’endroit où l’on peut trouver l’œuvre d’origine, la mention de la licence ; également si celle-ci a été modifiée donnant ainsi naissance à une nouvelle œuvre, fut-elle dérivée. D’une certaine manière c’est une licence agissant par contagion.
Libre n’est pas gratuit
Libre ne signifie pas gratuit, même si, de manière générale, l’auteur laisse une œuvre à titre gratuit pour le bien commun. Il n’y est toutefois pas tenu et il n’est pas anormal de voir des œuvres sous licence libre qui sont payantes. Il faut peut-être relire cette dernière phrase plusieurs fois pour se rappeler qu’en effet, la création d’une œuvre quelle qu’elle soit requiert du temps, beaucoup de temps, de la réflexion,de l’énergie, parfois même un investissement en matériel.
Pour terminer, le terme libre de droit n’existe pas. Cette appellation est même fallacieuse, elle sous-entend une absence totale d’obligation de la part de celui qui souhaite l’utiliser. C’est faux.
Pourquoi le choix de l’art libre ?
Il y a environ 15 ans, j’ai découvert cette licence via Framasoft dans le forum duquel je proposais de petits dessins. A vrai dire, au début, j’ai utilisé cette licence par mimétisme, effet de groupe ou en m’imaginant que cette licence faciliterait la diffusion de ces dessins (pas terribles 🙂 ).
C’est peu après la parution de Petit Vénusien que j’ai perçu et vécu tout l’esprit de la licence Art Libre. L’histoire a été traduite en 20 langues suite à un défi que j’avais lancé sur internet pour « tester » la licence. Elle a aussi été exploitée dans la classe de mon fils de 2 ans et a fait l’objet de différentes activités. De la peinture, du théâtre de marionnettes, de la fabrication de poupées.
J’ai alors pris conscience que je permettais à quiconque d’utiliser et exploiter mon histoire librement et sans « crainte » du copyright. On me rétorquera sans doute que rien ne nous empêche de le faire avec un livre avec droit d’auteur traditionnel. C’est vrai. Je garde encore aujourd’hui une vraie satisfaction à l’idée que des enfants découvrent mes histoires à l’école ou à la maison. Que les maîtres/maîtresses d’école les exploitent. Petit Vénusien date d’il y a presque 15 ans. Cette année encore, un monsieur m’a gentiment contacté pour adapter l’histoire en Kamishibai.
Finalement, le monde du libre ou de l’Art Libre est peut-être le dernier vestige ou bastion de ce qu’était l’idée de l’Internet du début. La mise en commun des connaissances, de l’échange et du partage d’œuvres ou d’information afin de permettre au plus grand monde d’y accéder. Wikipedia en est l’un des plus beaux exemples.
Les regrets / les satisfactions ?
Je n’ai pas de regret sur ce que j’ai fait. Reste ce rêve d’avoir un jour une version papier d’une ou plusieurs de mes histoires entre mes mains. Toutes mes histoires ne sont pas abouties, c’est clair. Mais il me semble que certaines le mériteraient. Bien entendu, c’est totalement subjectif. 🙂
Ce petit « regret » est largement compensé par le plaisir de voir que mon travail est utilisé et, je l’espère, apprécié. Je pense à ce professeur arabe qui utilise les histoires de Abel & Bellina sur Youtube pour l’apprentissage du français. Ou encore à ce Webinaire qui propose une exploitation élaborée du Carré qui voulait devenir rond. À Ces enseignants et logopèdes qui ont réécrit l’histoire du Grand Voyage pour le faire correspondre aux codes d’une lecture interactive. Je ne compte pas les nombreuses lectures à haute voix qui ont été faites durant les confinements. Dans la « vraie vie », je me rappelle encore parfaitement la réaction de deux enfants à la découverte de deux histoires.
Tous ces petits moments, bien sûr, m’encouragent à poursuivre.
Quelles sont tes réalisations en art libre ?
25 histoires pour enfants aux thèmes divers dont 12 épisodes de la série « Abel & Bellina ». Cela me tient fort à cœur.
Des dessins d’actu https://actu.odysseuslibre.be/ qui ont été hebdomadaires le temps d’une collaboration d’un an avec un journal du dimanche belge.
Pour le reste je dessine ou crée un peu en fonction de mes envies, comme des chansons, des enregistrements studios, des poèmes pour enfants, des activités pour l’école et bien d’autres choses encore.
Quels outils, quel matériel ?
Si, par le passé, j’ai fait l’un ou l’autre essai peu concluant avec une tablette et Gimp ou Krita, je ne me suis jamais vraiment senti à l’aise avec cette dématérialisation totale ; je n’ai jamais eu la main.
Aussi, vous l’aurez compris, je fonctionne de la manière la plus classique qui soit : papier-crayon,encrage,numérisation, colorisation. Pour cette dernière opération, j’utilise le logiciel de dessin vectoriel Inkscape, également un logiciel libre, de manière assez basique mais qui me convient bien. Lorsque j’ai créé la bannière de Restez Curieux !, j’ai procédé de cette manière-là également.
J’ai, bien entendu, conservé tous mes dessins faits sous le nom d’Odysseus depuis…2004 et ça commence à chiffrer centaines de feuilles 🙂
Quelles sont tes inspirations
Pour ce qui est des histoires pour enfants, je me suis longtemps inspiré du quotidien ou de réflexions de mes enfants. Maintenant qu’ils sont grands, c’est un peu plus compliqué 😉 . Je regarde autour de moi ou j’essaie de me rappeler ma propre enfance. Mais bon ça commence à faire loin. Pour le reste, c’est en fonction de l’envie, du besoin du moment. Actuellement, je suis dans une phase Abel & Bellina avec une série de cartes postales et d’autres projets sont en gestation.
Je peux difficilement cacher l’influence de Hergé sur mes dessins. Petit j’ai passé des heures à essayer de dessiner Tintin. Je suis beaucoup moins tintinophile aujourd’hui.
Mais je ne me sens pas spécialement l’âme d’un dessinateur : plutôt que ‘dessiner pour dessiner’, je préfère dessiner pour raconter.
Il m’arrive encore parfois d’emprunter des livres pour enfants à la bibliothèque. Soit parce que les dessins me plaisent soit pour voir comment l’histoire s’y raconte. Par exemple, le livre Bisou Volant est clairement influencé par le style de Emile Jadoul tant au niveau graphique que narratif. Jules a de nouvelles chaussures est inspiré de Jules et sa famille que je connais fort bien.
Le carré qui voulait devenir rond est, qui sait, peut-être influencé par La Linea, célèbre animation italienne des années 70, allez savoir.
Octave, petite fable agricole, fait partie des histoires dont je suis le plus fier. Elle me semble conserver un aspect intemporel, une petite morale et des illustrations qui laissent libre cours à l’imagination. Jean de La Fontaine m’a peut-être influencé à ce moment-là à moins que ce ne soit Disney et les Silly Symphonies ?
Le mot de la fin
Ce n’est finalement pas évident de trouver ses (propres) influences tant elles sont multiples et forcément se croisent. Et puis, les quelques-unes que j’ai cherché es/trouvées ne concernent que ma part « livre jeunesse ».
Je vous invite d’ailleurs à faire aussi cet exercice : quelles sont vos influences ? celles qui font ce que vous êtes aujourd’hui et celles qui transparaissent dans ce que vous faites ?
Je te lance la balle, Cyrille 😉
Merci ! 🙂
Une galerie de dessins réalisés par Odysseus avec votre serviteur comme modèle.
La bannière de Maths à l’arrache.