Humeur : Casio, un ami qui ne vous veut pas du bien

Préambule. La charge que vous allez lire sur Casio n’est pas dictée par un accord quelconque, un partenariat ou quoi que ce soit. Il s’agit d’une opinion qui n’engage que moi, enseignant de mathématiques depuis 20 ans en lycée agricole. Le fait de mentionner lycée agricole n’est pas anodin. En effet, mes élèves sont en difficulté, la calculatrice se doit d’être une aide, pas une entrave. Malheureusement, ce qui suit pourrait être appliqué à beaucoup de choses. Des choses qui concernent notamment l’informatique, ce fameux facilitateur… quand ça marche.

Il était une fois, l’heureux pays de Casio et Texas Instrument.

Il serait tentant de vous placer le mot Numworks dès maintenant, mais ce n’est finalement pas à propos. En effet, Numworks nous a clairement sauvé la vie en lycée professionnel. En effet, l’utilisation des calculatrices Casio ou Ti était devenue tellement complexe, si peu intuitive que nos élèves préféraient faire les calculs à la main. Avec ma collègue, nous avons fait partie des premiers profs de France à commander du Numworks, c’était l’époque où le commercial se déplaçait directement dans les lycées de France. Notre démarche était pour le moins surprenante, car nous ne nous intéressions pas à Python à l’époque.

Nous ne voulions qu’une interface en français, simple, c’est ce que nous a donné Numworks. Depuis, la réforme du lycée est passée, et Python est au BAC PRO mais c’est une autre histoire.

Pour le collège, les deux acteurs majeurs sont Casio et Texas Instrument. D’après le site Ti-Planet, une référence du genre, Casio c’est quasiment 80% du marché. Pas du luxe d’ailleurs, car au niveau de l’interface Ti fait bien pire que Casio. On ne peut pas éluder les autres marques issues des supermarchés, notamment avec lesquelles arrivent parfois les élèves. Ces calculatrices bon marché ne sont pas une aide pour les élèves, elles sont limitées dans leurs fonctions et sont plus un handicap qu’un avantage.

Il faut dire que l’argument commercial pour les familles est une évidence. En grande surface j’ai vu la dernière Casio collège vendue à 26 € quand jusqu’à maintenant, c’était à moins de 20. Quand on voit que les élèves font peu attention, entre la casse, les pertes mais aussi les vols, ça peut rapidement commencer à chiffrer.

La nouvelle version 2023 collège, tellement plus jolie, mais tellement moins simple

Dans mes cours, je me fends de faire deux versions d’utilisation de la calculatrice. Une pour la Casio, une pour la TI. J’ai eu la surprise de voir des élèves arriver avec un nouveau modèle de Casio. Il faut donc composer avec l’ancien modèle que possèdent la majorité des enfants, les TI qui sont un cauchemar au niveau de l’interface. Et comme je suis quelqu’un de sympa, je donne un coup de main aux élèves qui n’ont pas la « bonne » calculatrice. En effet, quand ils récupèrent du vieux modèle des familles ou du modèle à pas cher, c’est qu’ils n’ont pas les moyens de faire autrement. Comme malheureusement les tutos calculatrices ça ne fait pas trop de vues sur TikTok, c’est à moi de fouiller dans les manuels.

Vous noterez que si je ne fais pas l’effort, on a une stigmatisation qui est faite par l’argent. Ce serait mon droit de dire que j’ai demandé un modèle, et que si on n’a pas le modèle, on se débrouille. C’est ce que font la majorité des collègues. Tout allait bien jusqu’aux fonctions. Je me suis rendu compte que je n’étais pas capable de faire le tableau de valeurs avec le nouveau modèle.

Voici la partie de mon cours qui correspond à TI et ancien modèle.

Comme on peut le voir, il faut quatre étapes pour arriver au résultat, c’est plutôt intuitif, l’élève suit les demandes de la machine.

Pour le nouveau modèle maintenant :

Nous passons comme vous pouvez le voir à huit étapes et une ergonomie déplorable. Quand l’élève se contentait d’entrer dans le mode tableau et de faire sa saisie, on complexifie avec des touches supplémentaires. Une touche pour saisir la fonction, une touche pour saisir la plage et aller dans le menu qui va bien. Il s’agit tout simplement d’une régression et pour ma part d’une hérésie quand on connaît le jeune d’aujourd’hui.

Casio et la peur de perdre de l’argent

Il faut comprendre que le modèle économique ici ne se limite pas à vendre des calculatrices aux élèves. Il faut vendre du service, du logiciel, il faut tout vendre. Où Numworks a donné un énorme coup dans la fourmilière, un de plus, j’ai envie de dire, c’est avec la disponibilité de son émulateur en ligne. Pour faire les captures d’écran ci-dessus, j’utilise une clé USB qui m’a été offerte gracieusement par Casio.

Il faut reconnaître ceci à la marque. Lorsqu’on réclame, elle donne. J’ai réclamé cette clé, on me l’a envoyée. De la même manière, l’émulateur sur PC, on peut obtenir une clé du produit, mais valable seulement pour une année. Si on oublie cela devient compliqué pour renouveler. Tout est comme ça chez Casio, tout est compliqué. Alors que la société devrait « libérer » l’ensemble, faire comme Numworks, elle s’enferme dans ses services plus ou moins payants, mais surtout gênants.

Par exemple, la clé USB n’est pas copiable et ne fonctionne que sous Windows. On comprend alors pour des gens qui utilisent Linux mais aussi Mac, c’est le cas chez de nombreux profs, c’est compliqué. Avec Numworks, tout était simple, centralisé dans un seul service, le site internet. Ici, on multiplie les outils, les sites, et cela manque de clarté.

La médiocrité, l’apanage des premiers et des seuls

Ti et Casio n’ont bougé que parce que Numworks est arrivé. De façon générale, pour des élèves dont on connaît le niveau des évaluations, il faut des outils clairs, intuitifs, efficaces. Cela n’a jamais vraiment été la préoccupation des deux géants de l’éducation, partant du principe qu’ils étaient seuls. Et c’est ici mon principal reproche, ne pas avoir le choix sauf celui de subir. Le monde des calculatrices pour le collège est l’exemplarité même d’un marché qui n’est détenu que par deux acteurs. On reproche à l’univers Linux la multiplication des distributions, à raison, mais on oublie parfois ce que c’est que de ne pas avoir le choix.

La relation que nous vivons avec les calculatrices est une situation bien connue du dominant et du dominé. Le manque de choix permet au dominant de faire passer ce qu’il a envie, jusqu’à ce que les dominés créent leur crèmerie faute de pouvoir en changer.

La crèmerie existe déjà et peut-être qu’elle fabriquerait un nouveau pot. En effet, dans l’article ci-dessus de Ti-Planet, le rédacteur évoque l’idée que Numworks s’intéresserait à un modèle collège. Et là, forcément, mon univers entier serait changé, pas que le mien d’ailleurs. En espérant que le père Noël nous apporte un joli cadeau pour 2024.