La bande dessinée ce n’était pas mieux avant

Avec Benjamin nous avons franchi le cap honorable des 40 ans, l’un plus que l’autre. Nous avons grandi avec le club Dorothée à la télé, nous avons regardé des mangas ultraviolents (Ken le survivant et l’attaque hokuto de cuisine !). Nous avons joué à des jeux vidéos gore, regardé des films d’horreurs. Les stars du cinéma sont des types qui carburent aux stéroïdes, des hommes forts qui ne pleurent pas, qui règlent tous les problèmes à la castagne. Nous avons grandi dans une certaine forme de culture du mâle blanc dominant. Nos héros de bande dessinée s’appelaient Thorgal, Largo Winch ou encore XIII. C’est sur cet aspect culturel que j’aimerais revenir, le tournant qu’a pris la bande dessinée, un tournant salvateur.

Les héros des années 90

La bande dessinée Tintin

Tintin comme Astérix faisait partie de nos lectures, et c’est un cas d’école. Un cas que j’ai déjà évoqué pour le problème Disney, un problème similaire. Souvenez-vous, nous vivons actuellement dans un monde de cancel culture ou de woke qui vise à détruire certains pans culturels. Disney met ses vieux animes sous le tapis comme la poussière, car ils sont devenus plutôt gênants. Des black face avec les corbeaux de Dumbo aux chats asiatiques caricaturaux des aristochats, certaines séquences ont particulièrement mal vieilli. Elles sont aujourd’hui considérées comme racistes avec nos codes actuels.

Voici ce qu’on peut lire sur le site tintin.com, il s’agit de l’introduction pour l’album Tintin au Congo. Ce site est la propriété de la société Moulinsart, il s’agit donc de la communication officielle.

Les Aventures de Tintin, reporter du Petit Vingtième au Congo (1931) est le reflet d’une époque coloniale et paternalisteL’Afrique, représentée de manière naïve, reflète l’esprit paternaliste d’une Belgique colonialiste au début des années 1930.

Tintin au Congo
Tout droit réservé à la maison Moulinsart, pas de procès merci.

On comprend à la lecture de cette planche que Tintin est le blanc qui dirige, que le noir est considéré comme fainéant. Le noir est ridiculisé dans toute la bande dessinée ne serait-ce que par son langage. Pour davantage d’explications, vous pouvez vous référer à l’article de France culture.

Faut-il pour autant enterrer l’œuvre de Hergé ? Non. Elle est le témoin d’une époque et c’est avec ce type d’œuvre qu’on peut expliquer l’époque. Faire disparaître Tintin au Congo c’est faire croire que cela n’a pas existé, c’est faire disparaître les preuves.

Nous partirons du postulat qu’une œuvre va avec son époque. Elle s’accompagne d’un contexte qui va de l’explication de l’époque à la vie de l’auteur, ce qui l’a conduit à produire son œuvre.

Bande dessinée des années 80 …

La bande dessinée franco-belge ne pourrait se résumer aux quelques séries que je vais donner ci-après. On peut facilement contre argumenter, mais on ne peut nier ce qui suit. Parmi les séries populaires de l’époque, Thorgal (1977), XIII (1984) et Largo Winch (1990). Il s’agit de séries dont le scénario a été écrit par Jean Van Hamme. L’homme à lui seul compte 37 millions d’ouvrages vendus qui portent son nom. Quand j’évoque le succès, je pèse mes mots, Jean Van Hamme a passé aujourd’hui la main mais ses séries continuent sans lui plus de 40 ans après.

Pas très souriants nos héros

Les trois personnages ont en commun d’être des hommes blancs. Ils sont de grands séducteurs, des guerriers et cachent leurs émotions. Ils représentent à eux seuls, tous les clichés de l’époque. Bien évidemment, on peut dire que les femmes ont une place importante dans les séries. On pense notamment au major Jones qui sauve XIII plusieurs fois, une femme de couleur de surcroit. Aaricia l’épouse de Thorgal ou Kriss sa maîtresse sont des femmes fortes. Rien que dans cette dernière phrase, on comprend qu’elles ne sont que des personnages secondaires et qu’elles confortent la position de Thorgal. Il a deux femmes. Contrairement à une Laureline où Christin et Mézières étaient visionnaires dans une relation égalitaire, on est loin du compte avec les séries de Van Hamme.

Comme je l’ai écrit plus haut, tout ceci peut être contrebalancé par des séries comme Yoko Tsuno par exemple. En effet, le personnage créé dans les années 70 est une jeune femme ingénieure qui n’est de mémoire jamais sexualisée comme c’est souvent le cas des héroïnes de bande dessinée. Elle utilise son intelligence pour régler les problèmes qu’elle rencontre.

Un futur inévitable pour nos œuvres de jeunesse

Ainsi, à l’instar d’un Tintin des années 30 qu’on considérerait comme raciste, dans quelques années, il y a fort à parier qu’on soit interpellé sur la bande dessinée des années 70 à 2000. En effet, ces hommes blancs, virils, qui séduisent les femmes en claquant des doigts, qui règlent tout par la violence ne correspondent plus à la définition de l’homme d’aujourd’hui. La bande dessinée d’hier sera certainement considérée demain comme sexiste, violente, guerrière, inadaptée à l’éducation des jeunes garçons. Elle représente une société patriarcale dont on aimerait s’affranchir.

Un virage salvateur

Quand est-ce que la bande dessinée a commencé à casser ce modèle ? Je ne sais pas vraiment. En 2014, Europe 1 à l’arrivée du salon d’Angoulême titrait le monde de la BD est-il machiste ? En 2016, on pouvait lire chez les inrocks Angoulême: une polémique révélatrice du machisme ordinaire dans le milieu de la bande dessinée. On constatait la sous représentation des femmes dans le monde de la bande dessinée.

Je pense que deux éléments ont largement changé la donne. Le manga avec des histoires plus larges, romantiques, qui touche un public beaucoup plus important dont les filles. Les asiatiques ont des héros stéréotypés mais ont un panel beaucoup plus large de héros. On va bien évidemment trouver le héros qui règle tout à la castagne mais aussi des perdants ou des femmes. Avec de nouveaux lecteurs, un livre vendu sur quatre est un manga en France, une bande dessinée sur deux, les futurs auteurs ont d’autres influences que le mâle blanc dominateur.

Des exemples de Shojo

L’internet qui a cassé les codes de diffusion. Des auteurs comme Boulet se sont faits connaître grâce à leur blog, c’est le cas pour de nombreuses autrices. Une bande dessinée coûte aujourd’hui plus de 15 € l’album, cela reste donc un loisir culturel réservé à des gens qui ont des moyens financiers. Aujourd’hui de nombreuses plateformes de diffusions de manga gratuites existent comme Webtoons rendant cette culture accessible à tous.

La bande dessinée se diversifie dans ses formats, dans ses supports, mais aussi dans ses histoires et ses héros.

Des héros pour tout le monde

L’exemple de Black Panther est assez significatif puisqu’il s’agit globalement du premier super héros noir qui possède le premier rôle dans une grosse production. Plus haut j’ai évoqué principalement la place de la femme dans la bande dessinée face à un mâle dominant. Il est en de même pour tout le reste. Comment lorsqu’on est un enfant noir peut-on réussir à s’identifier à un héros, lorsque tous ceux qui vous sont proposés dans les médias sont blancs ?

Aujourd’hui les super héros sont non seulement de toutes les couleurs de peau mais aussi avec des sexualités différentes. Le fils de superman bisexuel a fait couler pas mal d’encre virtuelle. La polémique est ridicule, cette diversité est fondamentale. Si n’importe quel gamin, quelle que soit sa couleur, sa religion ou son orientation sexuelle, arrive à trouver des modèles en qui s’identifier, c’est particulièrement positif.

La diversité qui nous est offerte aujourd’hui dans la bande dessinée est salvatrice pour les lecteurs mais surtout pour le medium. Avec une diversification de la bande dessinée, on atteint un public plus large, de meilleures ventes. On rajoutera enfin un effet de bord non négligeable : la crédibilité.

En route pour le Wakanda !

Un support enfin reconnu

Avec du recul, quand on lit certaines bandes dessinées, y compris des grands titres, on se rend compte que les scénarios sont totalement absurdes. Si pendant des années la bande dessinée a été considérée comme un art mineur, c’est certainement pour cela. On me rétorquera que les aventures de Bob Morane ont fait rêver des milliers de gosses, c’est vrai. Toutefois, ce postulat de l’homme blanc hétérosexuel qui règle tout par la violence pour seul héro a cloisonné la bande dessinée pour un public trop ciblé. La bande dessinée a été considérée pendant des années comme un medium pour les enfants ou pour les adolescents. C’est aujourd’hui un art reconnu, à part entière, avec des auteurs qui font le choix de la bd plutôt que d’écrire un livre ou faire un film.

Nous avons pu voir sur le site que l’excellente série Maus qui a décroché le prix Pulitzer, de très nombreuses adaptations au cinéma de bd (Zaï zaï zaï zaï au moment où j’écris ces lignes). Les thématiques sont de plus en plus nombreuses, si la fonction première comme le divertissement reste, l’histoire, la politique, la médecine, le complotisme, plus rien n’arrête la bande dessinée.

Persépolis