Avez-vous déjà assisté à ce qu’il se passe lorsque quelqu’un annonce à son entourage qu’il est autiste ? Si l’entourage l’ignorait vous allez peut être voir de multiples réactions. La plus répandue étant celle qui sera suivie de ce type de phrase: « Ça ne se peut pas tu parles.” ou encore “Moi j’en connais de vrais autistes tu veux que je te les montre ?” ou bien “ Tu as lu un truc sur internet pour te diagnostiquer, c’est juste une mode.” etc… Qu’est-ce qui cause ce genre de réaction ? Pourquoi faut-il parfois des décennies avant de comprendre que l’on est autiste ? Pourquoi parle-t-on de handicap invisible ? Abordons rapidement le sujet du camouflage dans l’autisme.
Introduction
Avant toute chose il faut bien entendu rappeler ce qu’est l’autisme. Si vous avez déjà lu mon article sur la vaccination et l’autisme, je vous invite à sauter les prochains paragraphes en italique.
Commençons par le commencement: c’est quoi l’autisme ? Il est possible que, si vous lisez ces lignes, vous pensez voir de quoi il s’agit. Cependant, bien souvent lorsque l’on n’a pas étudié le sujet et que l’on n’est pas concerné on ignore beaucoup de choses. Commençons par dire ce que n’est pas l’autisme. Tout d’abord ce n’est pas une maladie. Et ce n’est pas non plus quelque chose qui peut se guérir. L’autisme est défini dans le DSM 5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) qui est un manuel faisant consensus qui est écrit par l’association américaine de psychiatrie.
Pour faire simple, le trouble du spectre autistique (TSA) est un trouble neurodéveloppemental. Il se manifeste surtout à travers plusieurs phénomènes. Dans des difficultés dans les intéractions sociales et dans la communication. Ainsi que des répétitions dans les intérêts et les comportements. Il s’agit d’un spectre c’est-à-dire qu’il y a autant d’autismes différents que d’autistes. On classe ainsi les concernés à travers 3 niveaux en fonction de l’aide dont ils ont besoin au quotidien.
L’autisme (dans certains cas) entre dans ce que l’on nomme les handicaps invisibles. C’est -à-dire ce que l’on ne peut pas forcément identifier du premier coup d’œil. Cela concerne beaucoup de choses différentes (les troubles dys, le TDAH, épilepsie, douleurs chroniques, etc…). Il faut bien noter également que 80% des handicaps en France sont invisibles. Bref, c’est loin d’être anecdotique. Mais alors pourquoi l’autisme est parfois difficile à remarquer ?
Le « masking » ou camouflage
Alors je vais enfoncer une porte ouverte mais: être autiste ce n’est pas toujours simple. Pourtant, malgré les très nombreuses difficultés que cela cause certains sont parfaitement capables d’avoir une conversation et de passer pour “normal”. En effet beaucoup d’autistes développent des techniques de camouflage ou de masking.
Chez beaucoup d’autistes certains comportements sont particulièrement visibles et peuvent sembler singuliers. On peut en citer quelques-uns sans pour autant être exhaustif. Nous avons donc par exemple: le fait de ne pas regarder dans les yeux, des mouvements de mains ou du corps stéréotypés, le fait d’avoir des difficultés dans les interactions sociales, le fait de ne pas bien saisir le second degré, les écholalies etc… (Nous reviendrons plus précisément là-dessus dans un prochain article).
C’est ainsi que certains développent donc des mécanismes conscients et inconscients dans le but de masquer leur différence. Ils se fondent alors dans la population et semblent d’un point de vue extérieur parfaitement ordinaire. C’est sans doute ce phénomène (entre autre) qui causent les très nombreux diagnostics tardifs du TSA.
En quoi consiste ce camouflage ?
Le camouflage consiste généralement, dans un premier temps, à se retenir de faire certaines actions particulièrement visibles et identifiables. Par exemple, le fait de remuer les mains lors d’une joie intense. Mais cela va souvent plus loin avec la construction de personnages visant à cacher sa propre identité. Il faut alors jouer un rôle en permanence, car beaucoup d’autistes en témoignent: sans cela il serait impossible de réussir un entretien d’embauche ou d’avoir des relations sociales à long ou moyen terme.
Une autre méthode bien connue des autistes c’est celle du caméléon. En effet nous sommes nombreux à apprendre et à nous fondre dans la masse par imitation. Lorsque vous n’avez pas dès la naissance les codes sociaux intégrés dans votre cerveau, le meilleur moyen de les apprendre est d’imiter les autres.
Cette imitation concerne de multiples domaines. Ils s’obligent à regarder les gens dans les yeux même si c’est douloureux pour eux, imitent les expressions faciales renvoyant au sentiment attendu par l’interlocuteur. Beaucoup d’autistes s’entraînent pour savoir quand est-ce que c’est à leur tour de parler, se forcent à “bavarder” bien que cela soit une activité très compliquée.
Ils tentent également d’éviter de ne parler qu’à travers leurs expériences, essayent d’éviter de ne parler que de leurs intérêts spécifiques dévorants qui sont parfois incongrus. Ils se construisent des scripts mentaux à utiliser lors de conversation pour faire illusion.
Bref, le camouflage consiste à se construire des masques pour pouvoir faire semblant de ne pas être autistes dans les relations sociales.
Pourquoi se camoufler ?
La question peut se poser: pourquoi se camoufler ? Les raisons sont nombreuses et je vais ici seulement en évoquer quelques-unes. Il en existe beaucoup de raisons et si certaines peuvent être partagées par de nombreux autistes, certaines peuvent être propres à des individus.
La première raison que l’on peut citer c’est la méconnaissance du sujet. Malheureusement, l’autisme est un sujet qui véhicule beaucoup de stéréotypes. Que cela soit à travers les représentations faites dans la fiction ou tout simplement une image datée, rares sont les personnes correctement informées. Par exemple certains peuvent penser que tous les autistes sont dangereux, dépourvu d’empathies et incapable d’apprendre. Ce qui est bien évidemment faux.
Autre raison: les moqueries. Si vous pensez que c’est un phénomène rare, je suis au regret de vous dire que vous faites erreur. Par exemple en 2009 aux USA 65% de parents d’enfants autistes interrogés affirmaient que leurs enfants subissaient du harcèlement, des moqueries voire pire. Autre exemple: souvenez-vous en 2020 sur Tiktok une mode était apparue. Il s’agissait d’un challenge dont le but était de se moquer des autistes en imitant des comportements stéréotypés qu’on leurs attribuent.
Effectuer des mouvements stéréotypés dans l’espace public c’est s’exposer à des regards intrigués ou moqueurs. C’est craindre de subir des railleries voire d’être agressé. Ne pas comprendre le second degré ou les intentions cachées (ce qui est le cas de nombreux autistes) cela peut aussi être la cause de moquerie.
À cela s’ajoute tout simplement le besoin d’exister dans la société. En effet, pour trouver un travail par exemple, il faut passer par la case entretien d’embauche. Or beaucoup d’autistes ne sont pas excellents dans cet exercice et sans masquer c’est presque mission impossible. Ne serait-ce que le fait de ne pas regarder dans les yeux est considéré comme un manque de respect (ce qui n’est pas le point fort de la plupart des autistes). Bref,vous comprenez bien que dans ce contexte le masking est indispensable.
Et puis tout simplement pour avoir des relations sociales. Contrairement à ce que certains pensent, la plupart des autistes ont envie d’avoir des personnes avec qui discuter. Si ce n’est pas évident c’est qu’il nous faut bien souvent choisir entre sociabiliser, avec le lot de problèmes de fatigue et de douleurs que cela cause, et la solitude. Malheureusement, bien souvent pour un premier contact avec un groupe il vaut mieux paraître “ordinaire”.
Tout cela est bien triste mais est-ce réellement un problème vous demandez-vous peut-être. Figurez-vous que oui car il y a des conséquences.
Les conséquences du camouflage dans l’autisme
Le camouflage dans l’autisme a en effet des conséquences. Porter un masque en permanence en société peut avoir de multiples effets à court et long terme. Là encore je vais seulement en citer quelques-uns. Gardez à l’esprit que ça peut être très variable selon les personnes.
Première conséquence et pas des moindres: la fatigue. La plupart des autistes lorsqu’ils masquent pendant une conversation doivent gérer un grand nombre de choses en même temps. Il faut rester concentrer en permanence, bien observer les émotions que communiquent les autres, avoir les réactions appropriées, essayer si possible d’avoir des contacts visuels ni trop court ni trop long ect… Bref, c’est absolument épuisant et plus longtemps cela dure plus il y a de chance de commettre des erreurs et plus il faudra de temps pour récupérer. À cela s’ajoute l’énorme quantité de stress et d’anxiété que cela implique.
Autre problème: cela peut donner l’impression de perdre sa propre identité. Jouer un rôle en permanence peut donner l’impression de mentir ou finalement de ne plus être soi-même. Changer de masque en fonction des personnes, ça peut finir par nous miner, nous faire douter de notre vraie identité.
La dernière conséquence qu’il faut évoquer c’est tout ce qui concerne le diagnostic. En effet, si beaucoup d’adultes sont diagnostiqués tardivement c’est parce que pendant une grande partie de leur vie ils ont masqué leurs difficultés aux autres et parfois à eux-même.
Cet effacement des difficultés aux yeux des autres va avoir une autre conséquence particulièrement douloureuse. Lorsqu’un autiste finit par se poser des questions et en parler à ses proches, il a des chances de subir un très fort scepticisme. Pour des observateurs extérieurs en effet cela semble sorti de nul part car après tout il a toujours semblé normal. Cependant, pour le concerné il met des mots sur des choses qui le rongent depuis des années.
Je précise qu’il semble que cela soit encore plus le cas pour les femmes. En effet, on a tendance à penser que l’autisme touche plus les hommes. Néanmoins, il faut prendre en compte que les tests permettant d’identifier l’autisme ont été conçus pour des hommes. De plus, il semblerait que les femmes soient capables de se camoufler plus efficacement (nous y reviendrons une prochaine fois).
Bref, comme vous l’aurez à présent compris tout cela à des conséquences. Vous trouverez d’ailleurs un schéma ci-dessous que je vous invite à consulter qui résume un peu tout ça.
Pourquoi continuer ?
Après ces explications, on peut se demander pourquoi continuer à faire cela. Après tout si ça pose problème pourquoi ne pas arrêter ?
Tout d’abord il y a tout ce que nous avons cité: éviter les moqueries, s’intégrer ect… Mais ce qu’il est important de comprendre c’est que le masking n’est pas forcément conscient. Lorsque cela fait des années voir des décennies que l’on est obligé de se camoufler, cela finit par être automatique.
Même lorsque l’on sait pertinemment que c’est quelque chose qui nous épuise, il est très difficile de ne pas le faire. Par exemple lorsque j’étais enfant j’avais naturellement l’habitude d’avoir mes mains dans une position particulière. À force que l’on me répète que cela n’était pas correct, je me suis forcé à arrêter. J’ai donc cessé totalement de le faire alors que pour moi c’était agréable. Si aujourd’hui je parviens à nouveau à le faire de temps en temps, je m’empêche inconsciemment de le faire en public. Il en est de même pour le reste. Même en voulant arrêter de camouflage il est très difficile de le faire.
Si je devais résumer le masking en une comparaison ce serait celle-ci: c’est comme mettre un masque recouvert d’épines. Plus longtemps on le porte, plus elles s’enfoncent, cela devient alors de plus en plus difficile de le retirer et de plus en plus douloureux.
Si quelqu’un vous fait donc un jour part de ses doutes quant à son possible autisme. Souvenez-vous que vous n’êtes pas dans sa tête et que vous ignorez sans doute comment il ressent les choses. Je vous recommande également la vidéo ci-dessous.
Merci pour votre article. Je ne connaissais pas très bien ce trouble et j’avoue que je me reconnais dans la façon qu’ont les autistes de se masquer, c’était aussi la seule façon pour moi de me faire des amis et de m’intégrer plus ou moins dans des groupes de gens. Ça a commencé au collège quand j’ai compris que rire en même temps que les autres et avoir le même genre de blague me permettait d’être apprécié par certaines personnes. Bref, je confirme qu’à la longue on a juste l’impression de mentir mais si on s’arrête on s’isole. On ne peut pas faire se rencontrer les amis qui ne se connaissent pas entre eux (pour des fêtes, etc.), car on est une personnalité différente avec chacun… Bref, c’est le seul truc en commun que j’ai avec les autistes, je pense comprendre plus ou moins bien le second degré, je fais peu de gestes donc rien d’atypique, et concernant l’évitement du regard c’est plutôt le contraire : j’ai tendance à fixer les gens dans les yeux. 😀
Je ne sais pas si le fait de se masquer est répandu dans la société (en dehors de l’autisme), ça pourrait être intéressant de savoir ça.
En effet ce genre de comportement n’est pas propre à l’autisme. Par exemple nous avons tous tendance à arborer une personnalité différentes en fonction de si on s’adresse à un ami ou a son patron par exemple. La différence étant que dans le cas de l’autisme c’est presque permanent avec presque tout le monde sans aucun moyen de s’en empêcher. Nous parlerons d’autres traits autistiques dans les prochains articles.