J’avais écrit un article de vulgarisation sur l’image, les pixels, ce genre de choses. J’écrivais à l’époque, que mes élèves se promenaient avec 1200 € dans la poche sans avoir la moindre connaissance dessus. Je n’avais pas évoqué l’évaluation, je viens d’en faire une avec la promotion de cette année. Force est de constater que faute de culture générale, on pourrait apprendre, même pas.
Le cours et le contrôle
Le cours était à mon sens plutôt sympa, et avait pour but d’éveiller les consciences avec des exemples concrets. On arrive à la satisfaction d’apprendre encore des choses aux élèves, et de réaliser que sur les technologies, ils sont loin. J’aime beaucoup le jeune qui tente de placer le mot VPN. C’est intéressant, cela montre qu’ils ne savent pas ce que c’est, mais qu’ils utilisent le terme. En effet, dans les pubs YouTube, le matraquage avec le partenaire VPN du moment ne manque pas.
On arrive encore à marquer les esprits, à faire réfléchir. Certains pensent que les images d’Instagram se promènent dans les fils électriques. D’autres que cela reste dans la galerie du téléphone. Quand on en arrive au data center, c’est à ce moment où ça commence à blêmir. La prise de conscience que cette image, si privée, se trouve dans un coffre-fort dont quelqu’un d’autre a la clé.
L’évaluation tournait autour de la qualité des images et de la compression nécessaire. Concrètement, je partais de la définition du pixel, pour passer par l’incidence du nombre de pixels sur la qualité et le poids de l’image, le besoin de compression. Je finissais par une question ouverte que j’aime bien, maintenant que vous êtes au courant, qu’est-ce que vous faites pour vous protéger ?
Un VPN bien sûr, un antivirus pourquoi pas. La question ouverte perturbe le jeune et il se sent dans l’obligation de vous répondre ce que vous avez envie d’entendre. Les plus zélés arrêtent de prendre des photos et suppriment les réseaux sociaux. C’est la réponse majoritaire. J’ai bien aimé cette réponse d’élève qui dit que c’est un combat perdu, donc il ne fait rien. Certains tout de même ont dit qu’ils ne mettaient pas de photos qui pourraient leur nuire.
Sur un sujet qui les touche, sur des connaissances simples, je suis à moins de 12 de moyenne sur les trois classes.
Apprendre, ça fait mal. Le choc des savoirs n’aura pas lieu.
Malgré la facilité du contrôle, pourquoi les notes sont moyennes, parfois mauvaises. Tout simplement parce que savoir ce que c’est qu’un pixel, il faut l’apprendre. Savoir encore que les images sont stockées dans des data centers, il faut aussi le savoir. Ce qui est davantage inquiétant pour moi, c’est que le reste c’était du bon sens. Je demandais par exemple pourquoi Instagram a besoin de compresser les images avec pour question d’avant, l’incidence du nombre de pixels sur la qualité et le poids des images.
Alors, on pourrait me rétorquer que c’est uniquement pour cette leçon et que pour conduire une voiture, il n’y a pas besoin d’être mécanicien. Je nuancerai toutefois que face aux connaissances de mes élèves sur les smartphones par exemple, la transposition serait de ne pas savoir la différence entre un diésel et une voiture électrique.
Les difficultés sont nombreuses, on peut le voir dans la langue française, dans l’histoire où aucun élève n’est capable de dater la Révolution française par exemple. L’enfoncement dans le classement PISA qui inquiète et qui fait réagir les différents ministres qui se succèdent, n’arrive jamais à la conclusion : il faut apprendre pour que ça rentre.
Notre profession est régulièrement remise en question. D’abord notre niveau d’étude avec la mastérisation voulue par Nicolas Sarkozy, ou la volonté de rendre nos savoirs intéressants ou pertinents. Il est certain que pour ce dernier point on ne peut pas donner tort à nos inspecteurs. Mais force est de constater que même si les cours les intéressent, les concernent, ce n’est pas pour cela que ça rentre comme dans du beurre. À un moment, il faut apprendre.
Le cerveau, ce muscle à l’abandon
J’ai beaucoup travaillé plus jeune. Trop certainement. Je suis admiratif face à ces médecins qui ont une trentaine d’années et qui prennent leur mercredi pour s’occuper de leurs enfants. Tout enfant de médecin de ma génération vous dira qu’il n’a connu son parent qu’à la retraite. J’ai donc appris beaucoup de poésies, de définitions, de règles de français, d’événements historiques. J’ai appris énormément de choses qui ne m’ont jamais servi dans mon quotidien. Il s’agit probablement de l’un des principaux reproches qu’on fait à l’école. Pas totalement faux, mais pas du tout vrai non plus.
Quelqu’un qui fait du e-sport à niveau professionnel, fait du « vrai » sport au quotidien. Pourquoi ? Tout simplement parce que le corps ne tiendrait pas sans activité physique. Pourtant, on pourrait se dire qu’il serait meilleur s’il passait davantage de temps sur son ordinateur. Sauf que physiquement, il ne serait pas dans la capacité de finir ses parties.
Apprendre, a un double intérêt. D’une part, on fait l’acquisition de savoirs qui sont importants pour la construction de l’individu. En effet, si on prend le programme d’histoire, géographie, même si tout n’est pas indispensable, il permet de poser les bases de la compréhension du monde dans lequel on vit. Même si majorité des théorèmes de mathématiques ne servent à rien dans le quotidien, ils permettent d’acquérir des compétences de logique. Ensuite, le cerveau est un « muscle ». Plus on apprend, plus c’est facile d’apprendre.
Et c’est certainement ici que tout dérape.
L’impossibilité de remettre des devoirs
La circulaire du 29 décembre 1956 supprime les devoirs à la maison, précisant qu’« aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, ne sera demandé aux élèves hors de la classe »
Vous vous doutez bien qu’écolier, dans les années 80, j’ai mangé du devoir à apprendre par cœur et du devoir écrit. Pas un parent n’aurait tenté sa chance avec la circulaire. À l’époque, je faisais l’étude du soir, quand les autres enfants rentraient chez eux, ils étaient accueillis par leur maman. Depuis, la société a largement évolué, les femmes ne sont plus à la maison pour vérifier les devoirs et le reste, elles travaillent. La cellule familiale a largement explosé, notre monde est totalement fou, déstructuré.
Les opérations devoirs faits, si elles ont du sens, ne peuvent pas répondre aux besoins désormais si spécifiques de chaque enfant. Comprenez que la personne qui va faire une étude avec vingt enfants qui multiplient les pathologies dys, ne peut pas faire les devoirs correctement. Pour faire des devoirs, il faut un accompagnement individuel, la place de maman de l’époque.
La singularité de notre monde, c’est qu’un retour en arrière serait impossible. Pour les raisons citées ci-dessus, mais aussi parce que les enfants ne veulent plus apprendre. La société de loisir, de consommation, a fait le travail, tout le monde veut s’amuser. Et quand je dis tout le monde, c’est aussi le cas des adultes. Comprenez que le parent qui gère aujourd’hui une vie compliquée dans un monde compliqué, n’a pas envie de forcer son adolescent à faire ses devoirs de maths en rentrant.
Un retour à la « bonne vieille époque », impliquerait des politiques très fermes, des politiques de droite. Et on note ici tout le paradoxe. Les gens veulent plus d’autorité, veulent plus de cadre, veulent que les enseignants regagnent le respect qu’on leur doit sans mesurer leur propre part de sacrifice. C’est ici tout le paradoxe de l’appel aux extrêmes, on croit toujours qu’on est dans le bon camp de ceux qui ne seront pas impactés.
Alors quelle remédiation possible ?
Pour ma part, l’une de mes problématiques, c’est l’alourdissement des programmes avec les années. Je ne parle que d’un point de vue pédagogique. Comprenez exit l’administratif, les réunions, les réformes. Face à des élèves qui ne maîtrisent pas les classes précédentes, qui ont des difficultés à lire et écrire, comment continuer la marche forcée ?
Une relecture des programmes, pour s’interroger sur ce qu’on veut vraiment pour nos enfants, qu’est-ce qui parait indispensable et s’y tenir. Si on juge qu’un élève doit connaître le théorème de Pythagore à la sortie du collège, qu’on pense là-haut que c’est indispensable, alors il faut se donner les moyens de tenir.
Ce peu de savoir, pas le choc, la substantifique moelle nécessaire, doit passer par le par cœur. Il faut réhabituer le cerveau à fonctionner. Je pense avec du recul que les devoirs doivent être faits en temps scolaire. Si j’ai parfois fini mes soirées à 2h du matin sur un DS de maths, ce n’est plus la même époque. Le travail à l’école c’est la véritable égalité des chances. Combien d’amis se payaient les profs particuliers pour leur mâcher le travail ? Bien sûr les inégalités existent ailleurs, mais c’est au moins un début pour les gommer.
Enfin, il faut une politique simple, claire, et s’y tenir. Il faut voir les progrès, s’ils existent, car je n’ai pas la prétention d’avoir les solutions, et faire remonter en puissance les générations futures par pallier.
La situation est grave. À force de ne plus rien apprendre, nos enfants ne seront pas en capacité d’affronter les épreuves à venir qu’ils ne pourront pas comprendre. Apprendre c’est se construire, sans fondation tout s’écroule.
Même constat. J’ai des élèves du collège qui éprouvent de plus en plus de difficultés à se mobiliser sur une tâche. Ce n’est même pas (encore) de la comprendre, c’est d’avoir tout simplement envie d’essayer le faire.
Par ailleurs, écouter, c’est déjà trop devoir attendre.
A trop vouloir tout embrasser, de trop et trop vite, l’Ecole ne parvient plus à poser un socle pourtant nécessaire.
Rien à voir mais un peu quand même, j’ai trouvé très intéressant le ‘tract ‘de Olivier Hamant « Antidote au culte de la performance » démontre, dans le domaine technique, que les machines d’aujourd’hui de plus en plus précises et performante et de ce fait plus fragilisées. Les techniques plus anciennes, plus robustes, certes moins performantes, sont plus solides. Ont peut facilement appliquer cela à l’informatique, à l’administration ou à l’école. Je ne dis pas qu’il faut le faire, partout et tout le temps mais, à propos de temps, c’est finalement un essentiel qui a été sacrifié et vers lequel nous devrons retourner d’une façon ou d’une autre.