Instagram vient de lancer un compte pour ado, quand on pourrait saluer l’initiative, une réflexion est à faire. Pour en savoir plus sur la mise en place, je vous invite à lire cet article : Comptes adolescents sur Instagram : « Nous sommes la seule plateforme à aller aussi loin dans les restrictions », assure Meta France. Où l’on fait croire qu’on a un bel de lumière chez Meta.
Strike a pause, there’s nothing to it
En France, même si on assiste à des déclarations contradictoires, on sent quand même que les écrans n’ont pas le vent en poupe. Depuis la rentrée, 200 établissements scolaires s’essaient à la pause numérique. Si les syndicats hurlent, à raison, pour la responsabilité qu’on laisse une fois de plus à l’école qui doit tout gérer, on évoque peu le fond. Dans mon établissement, nous avons fait une expérimentation l’an dernier que nous avons généralisé sur nos classes de collège. Ce qu’on peut dire c’est qu’aucun enfant ne s’est retrouvé en PLS la bave au bord des lèvres en réclamant son téléphone.
Si je suis gêné par la diabolisation de l’appareil, par le manque d’éducation, par le fait que ça ne règle pas l’ensemble des problèmes, RAS. Il n’y a rien à signaler, les jeunes se soumettent et ça se passe de façon correcte. On les voit faire d’autres activités, ils discutent. Est-ce que ça allège les tensions dans l’établissement ? Je ne sais pas. On peut y voir quelques avantages pour les enseignants. Par exemple, quand on sanctionnait un enfant, on n’avait pas mis la sanction qu’on avait le parent au téléphone. Plus de risque d’être filmé en classe.
D’un autre côté, l’usage de l’ENT en prend vraiment un coup. Sans vouloir en faire des accros à la communication d’entreprise, on rate tout de même certains usages. J’ai envie de dire qu’on rate l’éducation.
Comme dans toute situation, il faudra peser le pour et le contre, adapter. Mais dans tous les cas, la machine est en marche. On sait que pour les autres, il s’agit d’une expérimentation, je pense qu’elle sera généralisée. En effet, les parents qui mettent les smartphones dans les mains de leur enfant sont les premiers à se plaindre. Il s’agit d’une mesure de droite, qui je pense sera appréciée par les familles. C’est dans l’air du temps, une France plus dure, plus exigeante. Une France qui a le contrôle.
L’étau se resserre sur les géants de la tech
On comprend que dans le cas présent, le coupable plus que l’écran, c’est le contenu. Les jeunes passeraient leurs journées sur Wikipédia, on crierait bravo. On fait le constat que les enfants passent trop de temps devant des futilités. Futilités, mais aussi des dangers de l’internet. Les maladies mentales explosent, la corrélation avec les réseaux sociaux est facile à faire. Des suicides, du mal-être, de l’addiction, les réseaux sociaux sont désormais la cause de tous les maux.
On peut dire sans trop se tromper, que TikTok et Instagram sont dans le collimateur. Le premier, certainement trop chinois, trop addictif. Le second quant à lui, avec ses photos trop parfaites, son apologie de la vie meilleure, renvoie à chacun la médiocrité de son quotidien. Tout est tellement beau sur Instagram qu’on finit par s’en rendre malade. Des ventres plats, des corps bronzés, des vacances de rêves, des familles unies, Instagram, c’est le rêve inaccessible.
Si pour les adultes, c’est compliqué, il est aisé de se de dire que pour un adolescent, c’est extrêmement difficile à gérer. Meta n’avait d’autre choix que de réagir en proposant un compte Instagram pour adolescent.
Pour avoir la mère, il faut avoir la fille
Dans les propositions d’Instagram, il n’y a rien de révolutionnaire. Il s’agit à pas grand-chose, d’un contrôle parental interne à l’application. Et c’est certainement l’une des subtilités.
Dans l’ensemble de mes classes de troisième, le taux d’utilisateur d’Instagram s’élève à plus de 90%. Il faudrait que je fasse un sondage pour savoir qui a un contrôle parental sur son téléphone. Il faudrait aussi que je demande qui sont les parents qui se préoccupent réellement de ce que fait leur ado avec le téléphone. Si les parents s’en moquaient, ou sont dépassés, cela ne changera rien pour le jeune. En outre, pour des parents qui contrôlent, l’offre de Meta est particulièrement séduisante.
Le parent qui a soif de contrôle, aura des données statistiques qu’il n’a pas avec un contrôle parental classique. Il sera probablement plus enclin à laisser son enfant utiliser Instagram plutôt qu’un autre réseau social. Et c’est ici toute la force du système. Pour contrôler son enfant, il faut un compte Instagram. Ainsi, pour avoir la mère, il suffisait d’avoir la fille. On aura ainsi une masse de parents qui étaient sur Facebook qui vont ouvrir des comptes Instagram pour assurer ce flicage.
Avec cette légitimité, un enfant de moins de 15 ans, ou peut-être moins de 13 qui va demander à réseauter, pourra demander à utiliser Instagram. On ne voit pas pourquoi le parent refuserait. Toutes les conditions de contrôle et de sécurité sont présentes, pourquoi pas.
Et ce qui est très fort encore, c’est que Meta se désengage de la responsabilité pour la faire porter sur les parents. Car après tout, le parent ne pourra pas dire qu’il n’a pas les outils pour contrôler son enfant. Si l’enfant fait n’importe quoi, c’est la faute des parents !
Ce qui ne changera pas avec le compte ado Instagram
Le dernier point du paragraphe précédent me paraît indispensable dans la stratégie de Meta. Jusqu’à maintenant, on pouvait dire que les parents n’avaient pas les outils pour contrôler ce que fait l’enfant dans Instagram. C’est pernicieux, car c’est faux. Les parents font le choix de mettre un smartphone dans les mains de leur enfant. C’est un premier contrôle. Ils donnent leur consentement pour installer Instagram parce qu’ils ont la possibilité d’utiliser un contrôle parental. Cette situation ne changera donc pas entre les parents qui contrôlent déjà et ceux qui se désintéressent de ce que font leur leurs enfants. La différence c’est que désormais ça existe au sein de l’application.
Ce qui ne changera pas non plus c’est le temps passé à scroller à l’infini malgré les messages d’avertissements. Des enfants qui se couchent à des heures indues, des enfants aux yeux fatigués.
La publicité ciblée, le scroll infini ne changera pas non plus. Les comptes de gens parfaits seront toujours bien présents. Bien sûr, il sera toujours possible de désabonner son enfant. Malheureusement, les parents sont déjà tellement pris par leurs propres comptes sociaux qu’ils ne se lanceront pas dans le tri de celui de leurs enfants.
Ce qui ne changera pas enfin, c’est qu’à la fin, c’est l’entreprise Méta qui gagne. Elle avait non seulement gagné la partie avec l’ensemble de ses moyens addictifs, dorénavant, elle s’offre une légitimité.