En France et dans tous les pays du monde, on commence à prendre conscience de la problématique des écrans à plus d’un domaine. La santé mentale des jeunes qui se dégrade, le niveau qui baisse, les jeunes qui lisent de moins en moins au profit des écrans. Et pourtant, alors que tout le monde pointe du doigt le temps passé devant les écrans, la France continue d’alimenter son paradoxe du numérique.
Cachez ces écrans que je ne saurai voir.
Nicole Belloubet qui endosse le difficile rôle de ministre de l’Éducation nationale, envisage une pause numérique. Elle part du postulat que même si les smartphones sont interdits dans les collèges, les enfants les utilisent. C’est une expérimentation que nous avons menée dans notre établissement, au départ, j’étais contre, aujourd’hui, je suis pour. J’expliquerai plus loin mon opposition. Le constat est sans appel, si vous laissez les jeunes avec leur smartphone, récré, entre deux cours ou pause méridienne, smartphone. Nous sommes face à des rangs complets d’élèves, côte à côte qui ne s’adressent pas la parole, le nez collé dans l’écran.
En supprimant à la journée le portable, les jeunes adoptent de nouvelles postures. Jeux dans la cour, ils se parlent, ils retrouvent un comportement plus sociable. On notera ici l’un paradoxe numérique de la France. Les premières personnes qui se plaignent de l’usage des smartphones sont les parents, ils sont pourtant les seuls responsables. En effet, un jeune de 12 ans n’a pas de possibilité de s’acheter un smartphone et d’avoir une ligne téléphonique, si un adulte ne l’a pas fait pour lui.
Cette pause numérique cependant n’est que la partie apparente de l’iceberg. En effet, avant l’école, après l’école, les enfants ont accès à leur smartphone. Nicole Belloubet oublie que lorsque les enfants sont en cours, le smartphone est rangé. Ils sont relativement rares les cas où l’enseignant intervient pour l’usage d’un portable en classe.
Faites ce que je dis, mais surtout ne faites pas ce que je fais
Dans un dernier billet, j’évoquais la position de Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Éducation nationale. Dans le sens du vent, l’ancienne ministre expliquait qu’il fallait restreindre l’usage des forfaits à quelques gigas par semaine. L’idée sous-jacente c’est de forcer l’utilisateur à mieux gérer son internet et le pousser vers le « bien ». À l’époque ministre, Najat Vallaud-Belkacem a équipé nos jeunes à hauteur de 1 milliard d’euros.
On souligne ainsi le trop-plein de numérique sans pour autant en définir les contours, et c’est certainement ici que la France cultive son paradoxe et surtout son manque de réflexion sur le sujet.
En Occitanie, tous les élèves à partir de la seconde sont équipés de Lordi. Ailleurs, j’avais expliqué un problème de fond pour la distribution de la machine : les enseignants. Financés par la région, les ordinateurs ne pouvaient pas être donnés aux professeurs. Aujourd’hui encore, après une bonne dizaine d’années, cette machine est peu utilisée. On continue de jeter des millions en l’air. Je ne pense pas qu’il y a eu une véritable enquête sur l’utilisation dans les classes. La machine trouve son utilité pour mes élèves dans la rédaction du rapport de stage ou des travaux, rarement en cours.
On pourrait donc imaginer que dans un monde dans lequel l’on prend conscience qu’on fait trop de numérique au point d’imaginer une pause, on va lever le pied dans l’éducation. Au contraire.
En discutant avec ma belle-sœur qui enseigne dans les Pyrénées-Orientales, j’ai découvert que le département équipait désormais les plus jeunes. Chaque enfant en sixième et en cinquième bénéficie dorénavant de sa tablette PC.
On imagine donc un monde avec moins de numérique en mettant plus de numérique dans les mains des enfants. Peut-être qu’on a du mal à définir ce qu’on voudrait mettre en pause.
Faire du numérique pour faire du numérique, c’est ici le paradoxe de la France.
N’allez pas croire que je tire à boulet rouge sur l’utilisation du numérique à l’école. Ce que je reproche, c’est le manque de réflexion sur l’enseignement du numérique. Par exemple, demander à des élèves de BAC PRO de programmer en Python, c’est pour ma part une mise en difficulté de nos élèves. On comprend bien que la ministre, comme les parents, voudraient que leur enfant traîne moins sur TikTok, Snap ou autres. Ce serait ça le mauvais numérique contre le bon numérique de l’école. Seulement qu’est-ce qu’on apprend vraiment à l’école ?
En mathématiques, lorsque j’aborde le théorème de Pythagore, j’aime bien parler de mythologie. J’évoque la mer Égée, et le Minotaure. J’ai régulièrement des élèves qui me demandent si le Minotaure a existé. Il ne s’agit pas de se moquer de ces enfants, mais de comprendre le monde dans lequel on vit. Avec la diminution de la lecture, des choix culturels qui vont vers le buzz ou le divertissement, les enfants sont de plus en plus désarmés.
Par exemple, pour quelqu’un qui s’informe, on a pu voir cette information : Les fausses nièces de Marine Le Pen font le buzz sur TikTok.
C’est une actualité qui est intéressante, elle relève de l’histoire moderne et de l’usage du numérique. Il s’agit de deepfakes de Marine Le Pen rajeunie et de Marion Maréchal Le Pen. Ce type de cours est totalement absent des programmes sauf dans le cadre de la SNT en classe de seconde générale et pourtant, c’est particulièrement instructif.
On peut traiter les deepfakes et montrer qu’il va falloir être de plus en plus attentif sur ce qu’on voit sur internet. On peut rappeler l’affaire Cambridge Analytica et expliquer les manipulations dans le cadre de l’élection de Donald Trump. Enfin, on peut surtout faire comprendre aux élèves qu’il y a forcément un intérêt à ces comptes. Une pratique avisée du numérique permet d’expliquer le monde et de mieux le comprendre. Maîtriser le numérique c’est former le citoyen de demain.
Ne pas diaboliser les outils, mieux les utiliser
J’écrivais plus haut que j’étais opposé au blocage des smartphones pour les élèves. En effet, je juge qu’il vaut mieux apprendre aux élèves à utiliser les outils. Je suis par exemple un fervent partisan des ENT et de la messagerie. J’aime à rappeler aux élèves que c’est un outil de travail et que le smartphone a du sens dans ce cas. Demain, les élèves devront envoyer des mails à tout un tas de personnes, d’organismes, la messagerie de l’ENT est une initiation.
On se plaint par exemple du fait que les enfants ne lisent pas. Ce n’est pas forcément le cas, ils sont nombreux à lire des mangas sur Webtoon par exemple. Je suis persuadé que d’autres doivent lire des nouvelles et avoir certainement des usages particulièrement positifs. Sauf que je ne le sais pas, car je suis vieux.
Et c’est ici la véritable problématique de fond. On a une débauche de matériel informatique, on pousse à des usages du numérique, on en refuse d’autres. La sensation que j’ai, c’est que tout le monde voit le problème, on a conscience qu’il faut savoir se servir du numérique, mais personne n’a de véritable proposition qui correspond aux bons usages.
Je n’ai pas non plus l’impression que la régulation à la chinoise soit la bonne solution, ce qui est certain, c’est qu’il faudrait que tous les acteurs s’y collent en y incluant les jeunes pour comprendre les usages.
La France continuera de cultiver son paradoxe tant qu’on n’aura pas de véritables experts dans le domaine. Alors que l’état cherche à faire 10 milliards d’économie, injecter toujours plus de matériels aux frais du contribuable est encore paradoxal. Il est certainement possible de faire beaucoup mieux, avec moins.
Au-delà des enfants, comme tu l’évoques, il faut penser à l’acculturation numérique une fois adulte : tu bosses dans une mairie, tu dois poser tes congés sur la webapp imposée (au lieu du papier).
Si tu ne sais pas te servir d’un mail, du navigateur, etc. c’est mort. Et c’est le haut de l’iceberg avec toutes les démarches administratives dématérialisées : interdire l’utilisation d’outils numériques dans un monde ouvertement poussé à la dématérialisation… WTF.
Le meilleur passage : les parents fournissent les smartphones aux gamins et râlent sur leur utilisation…