Humeur : la fin d’une époque

À la fin du mois d’octobre, je supprimerai le forum de restez-curieux, il s’agit pour moi de la fin d’une époque.

Au début les forums

Je suis arrivé au net, un peu avant les années 2000 grâce à l’université. À cette époque, les communautés naissaient, tout était encore à construire. Il est évident que les réseaux sociaux n’existaient pas, et que l’idée même du réseau social n’avait pas de sens. En effet, lorsqu’on allait sur Internet, il s’agissait de trouver des individus partageant la même passion.

En écrivant ceci, il faut comprendre l’aspect fondamental de ces mots. Les gens venaient dans une optique de partage d’une thématique, aujourd’hui la thématique, c’est soi-même ou presque. Le raccourci est un peu fort, puisque Benjamin socialise autour de l’histoire avec un grand H, pas son histoire. Le raccourci prend davantage son sens lorsqu’on sait que les gens suivis par millions le sont pour leur individualité, plus pour ce qu’ils représentent que pour ceux qu’ils racontent.

La thématique de l’époque, c’était le DVD RIP à savoir l’opération qui consistait à convertir un support physique en fichier mpeg. Il est à noter que le forum anglophone historique sur la thématique, Doom9 est encore en place, dans son jus.

Il s’agissait ainsi d’une démarche culturelle, d’une recherche de communauté partageant les mêmes envies, loin du nombrilisme actuel.

Les réseaux sociaux ont tout balayé sur leur passage, mais pas seulement

Il serait encore réducteur de dire que les réseaux sociaux ont tout détruit et qu’ils sont les seuls responsables. C’est plus profond. Ce qui est certain, c’est que la centralisation reste tout de même une évidence. Je pense que les forums sont morts, la plus grande partie, car les communautés étaient trop petites. De très gros forum se portent encore bien. Reddit est certainement le chemin ou Discord, toutes les thématiques au même endroit pour un seul profil.

Avec un temps de plus en plus difficile à trouver, en toute logique un individu ne va pas participer à toutes les communautés. Il va ainsi choisir la plus importante, celle qui brassera le plus d’informations. La fin des petits forums, des petits tout court est une logique dans un monde régi par la centralisation.

Les réseaux sociaux ont induit différents facteurs d’accélération de la fin des forums. Comme expliqué plus haut, nous sommes passés du nous à je. Si vous avez la capacité de citer un contributeur de Wikipédia, je vous tire mon chapeau. Ils sont en effet nombreux à avoir réalisé qu’il y avait plus à gagner en travaillant pour soi, que pour la collectivité. C’est en fait complètement faux, on a tout à gagner à travailler ensemble que seul dans son coin. Cette stratégie d’enrichissement personnel ne dure qu’un temps.

Les forums ont mis trop de temps à s’adapter au responsive design pensant que les gens ne quitteraient jamais leur PC. Techniquement, les réseaux sociaux sont très au-dessus des moteurs de forum, même s’ils ne permettent pas du tout les mêmes échanges. Un échange technique sur Mastodon par exemple est tout simplement impossible à réaliser.

La fin de cette époque, ne saurait se résumer qu’à des considérations techniques. La forme oui, mais aussi le fond. Si on prend le cas du DVD RIP c’est une pratique qui ne m’intéresse plus. On prend de l’âge, les passions changent, l’informatique reste pour moi un outil, plus une passion. Je n’ai plus l’envie d’arpenter ou d’entretenir des forums techniques.

La pratique est d’ailleurs désuète, je reçois des mails de demande d’aide par le formulaire de contact, plus personne n’utilise le forum qui est inactif depuis des mois.

La fin d’une époque, celle des petits et du gratuit

Je ne reprendrai pas l’éternelle mort des blogs. Je pense au contraire qu’ils ont de l’avenir même si c’est un coût. L’inflation a eu bon dos, un hébergement chez o2switch c’est plus de 100 € désormais. Les NDD en .com ou .org flirtent dorénavant avec les 20 €. Cela signifie que dans une optique de partage, sans contrepartie, sans en tirer des revenus, mes activités internet me coûtent environ 150 € l’année. Je ne compte pas le temps passé à la rédaction des articles ni le travail de veille. Benjamin évoquait à table que pour quelques minutes de vidéo, c’est quatre heures d’écriture.

Il y a donc dans notre démarche d’éducation populaire une perte de temps, d’argent, d’énergie que nous pourrions investir dans autre chose. C’est certainement la réflexion qu’ont fait de nombreux blogueurs, vidéastes qui sont sous d’autres horizons.

Restez-curieux fêtera ses quatre ans en mars 2024, un anniversaire qui coïncide avec l’arrivée de la COVID en France. Il n’est pas question d’arrêter le site qui correspond à un équilibre entre la transmission des savoirs privés et professionnels. J’entends que lorsque j’explique comment j’ai réalisé une chatière pour baie vitrée, je suis dans la sphère privée. Lorsque je fais un théorème de Thalès avec un balai, je suis dans la sphère professionnelle. Cette sphère professionnelle a un double intérêt pour moi. Elle me permet de consigner mes savoirs et de les diffuser à mes élèves.

Un monde qui se fourvoie

Je reste convaincu que notre monde ne pourra s’en sortir que dans le partage et la solidarité. Pour l’instant, c’est particulièrement mal engagé. Les réseaux sociaux sont des outils puissants de partage d’informations, vous ne solutionnerez pas des problèmes avec. Les forums restent totalement incontournables, et ce, dans tous les domaines. Automobile, informatique ou bricolage.

Je pense que dans la hiérarchie de la distribution de l’information, la plateforme individuelle reste indispensable. Les individus qui axent l’intégralité de leur communication sur des réseaux sur lesquels ils ne maîtrisent rien risquent un jour de tout perdre. Le blog, le site perso, donnez-lui le nom que vous voulez, restera tant que vous le déciderez. Si demain WordPress ne me convient plus, il existe des solutions techniques pour passer à autre chose. Si demain toute ma stratégie construite sur Twitter s’effondre, c’est une communauté à reconstruire.

Les réseaux passent, les sites restent. Ils sont nombreux à s’interroger sur leur devenir sur X anciennement Twitter et voient désormais Bluesky comme un refuge. L’article de blog, bien écrit, dézingue Mastodon sur une complexité technique qui est fausse, et une ambiance qui manquerait de bienveillance. Amusant de voir qu’il s’agit de gens qui s’épanouissaient sur Twitter, symbole de moqueries, d’absence de modération et de violence verbale qui n’a rien à voir avec Musk. L’arrivée de Musk en a peut-être ajouté, mais l’esprit du réseau ne date pas d’aujourd’hui.

Aujourd’hui, je ne participe plus à aucun forum. À tort peut-être. Il se trouve que les populations vieillissantes qui utilisent ces outils les ont transformés en ghetto. Private joke évidentes pour des membres qui se connaissent depuis deux décennies, règles strictes qu’il faut connaître sur le bout des doigts, rien de bien accueillant.

Les forums devront se réinventer s’ils veulent survivre ou finiront par mourir avec leurs membres.