J’avais écrit un article plutôt complet sur l’orientation après la troisième de l’enseignement agricole. Il reste vrai dans les grandes lignes. Pourtant, en ce moment, on constate une tendance problématique pour l’apprentissage. Ce que j’écris reste bien sûr à prendre avec des pincettes. Il s’agit d’un secteur et ne pourrait être généralisé à toute la France. Un petit point sur l’orientation 2023 en apprentissage.
Orientation 2023 : trouver un patron, la croix et la bannière.
Nous sommes à l’heure actuelle dans une situation particulièrement paradoxale. L’état vise le million de signatures de contrats d’apprentissages, de nombreux secteurs manquent de personnels qualifiés. L’exemple type, c’est le bâtiment. Dans mon établissement scolaire, nous faisons de lourds travaux, les patrons se plaignent de manquer de salariés.
Cependant, alors que j’ai des élèves qui cherchent un patron dans l’électricité ou dans le bâtiment, ils ne trouvent pas. Il s’agit ici de jeunes sérieux, encadrés par leur famille. Nos jeunes peinent de plus en plus à réaliser ce type de démarches seuls, aujourd’hui signer un jeune, c’est signer une famille. Cela peut paraître étonnant, mais c’est plein de bon sens.
Pendant des années, nos élèves nous expliquaient que l’école les ennuyait, mais qu’ils étaient de véritables machines dans le monde du travail. Il y a dix ans, c’était vrai. Aujourd’hui, un jeune peu performant à l’école, est souvent peu performant en stage. Les patrons sont devenus méfiants et ne veulent plus de « gamins » de 15 ans. S’ils doivent signer un jeune, « signer sa famille » c’est la garantie d’un cadre. Une garantie d’avoir des parents qui seront bien derrière lever le jeune le matin pour aller au travail.
En fin de compte, le positionnement de nos jeunes finit par se retourner contre eux et c’était prévisible. Les patrons ne veulent plus former dans mon secteur. Et c’est ici tout le paradoxe. Le profil idéal serait un jeune de 18 ans, avec une expérience qui peut commencer directement. Comment alors, par magie, former ce fameux jeune entre 15 et 18 ans si personne ne veut de lui ?
À l’heure actuelle, la famille d’un de mes jeunes a contacté plus d’une trentaine d’électricien sans réponse positive.
Quand on oublie que l’apprentissage, c’est aussi aller à l’école
J’ai des retours de mes anciens élèves de troisième qui font aussi un apprentissage. Tout est loin d’être rose. Pour eux, partir en apprentissage, c’était la fin de l’école. Entrer dans le monde du travail, pour enfin abandonner les bancs de la classe.
La désillusion est assez importante. J’ai un élève pour qui tout se passe bien avec son patron, il fait paysagiste. La problématique est ailleurs, il ne travaille pas à l’école. Car on oublie qu’un CAP qu’il soit fait en apprentissage ou non, reste un diplôme avec des maths et du français. De l’autre côté, j’ai une élève partie en esthétique, qui me disait ne pas s’en sortir et souffrir d’épuisement. Elle est dans un salon avec une patronne très exigeante, les cadences de travail sont importantes. Les weekends, elle travaille pour l’école, elle m’expliquait ne plus avoir de vie sociale.
Le statut d’apprenti n’est en fin de compte pas idyllique. Des élèves saturant de l’école se retrouvent dans la position inconfortable de devoir gérer une scolarité, mais aussi un travail. Les cassures de contrat sont donc importantes entre l’insatisfaction du patron et le jeune qui peine à joindre les deux bouts. La scolarité d’un côté, l’activité de l’autre.
Cette situation se retrouve désormais dans le supérieur. Pour un exemple que je connais bien. Le Purple Campus est un CFA privé qui fait un très grand nombre de formations. Dorénavant, pour faire le DUST de préparateur en pharmacie, avoir le patron n’est pas une condition suffisante. C’est à présent test à l’entrée, sans même tenir compte de Parcoursup. En effet, le CFA réalise que certaines filières comme le BAC PRO SAPAT (Services Aux Personnes et Aux Territoires), l’équivalent de l’ASSP dans l’éducation nationale, se font littéralement rétamer aux partiels. Le CFA se retrouve alors avec des élèves qui n’ont pas le niveau et qui ne finiront jamais le DUST.
Aujourd’hui, même le CFA filtre à l’entrée !
L’apprentissage est tout sauf la voie de la facilité, au contraire
Le discours de nos jeunes aujourd’hui, pour beaucoup, en 2023, c’est une orientation en apprentissage. Enfin pour être honnête, c’est un discours qu’ils avaient beaucoup en septembre 2022 et qui évolue pour certains en 2023.
La recherche du patron est souvent éliminatoire. N’allez pas croire que je fais de l’anti-jeune, mais comme je l’avais évoqué dans mon précédent billet, certains pensent que le patron va venir les chercher. La prise de conscience tardive qu’il faut se bouger pour trouver un patron est fatale. On en revient à l’importance de la cellule familiale qui prend en charge les démarches du jeune et pour trouver le patron et pour le CFA.
Les réseaux sociaux permettent à chacun d’avoir des connexions avec des élèves des années passées. Ils savent donc comment cela se passe pour la promotion précédente. Cassure de contrat, difficultés. Les patrons qui ne prennent pas. Les CFA qui regardent de plus en plus les performances du jeune au travers des bulletins ou de tests.
Quand il n’y a pas si longtemps, l’apprentissage était présenté comme la voie de sortie des élèves non scolaires, ce n’est plus vrai. L’apprentissage apparaît désormais comme le choix de ceux qui sont capables de mener de front une scolarité, même allégée, et un travail.
En tant que professionnel de l’éducation, la situation est inquiétante. On aimerait que les entreprises assurent leur rôle de formateur. Néanmoins, quand on connaît le contexte actuel, les difficultés pour chacun, si ces derniers refusent de prendre des apprentis, c’est qu’il y a bien une raison.
Il faudra que nos jeunes comprennent tôt ou tard que le manque d’engagement, de sérieux, de ceux qui ont conduit les patrons à ce positionnement a des répercussions sur l’avenir de tous.
J’ai vu passer aussi un bilan peu reluisant de l’apprentissage en France en terme de cassure de contrats. Ce que je peux dire c’est que dans ma boite, il n’y a plus d’apprentis depuis … le COVID. Déjà parce qu’il y a mutation et le BTS MCI n’est plus intéressant, par exemple. On a juste quelques ingénieurs en stages de fin d’étude et ça s’arrête là. On imagine donc des filières complètement en ruine.
Après, sur la qualité de ce qui est proposé et des élèves, il y avait de bonnes et de mauvaises années, sans que l’on puisse pointer du doigt quelqu’un. Il y avait des élèves qui n’étaient pas dans la bonne voie et on le sentait tout de suite en parlant d’avenir. Mais ils avaient aussi des envies, sauf qu’il n’y avait pas forcément de filière pour ça. Il y avait des élèves très bons en classe et qui refusaient le carcan du monde du travail…mais aussi l’inverse. On a même eu un ingé en alternance assez catastrophique sur les deux mais qui à force de changer d’établissement (et d’argent des parents) a pu valider son cursus. J’aurais pris bon nombre de BTS à sa place.
Mais pour en revenir au sujet, j’ai aussi pu observer un décalage de plus en plus grand en ce que l’employeur attend et ce qui est enseigné. Baisse de niveau en math, français (je ne parle même pas des langues vivantes)…Sans doute pas une spécificité de l’apprentissage par contre.
Je rejoins Didier sur le décalage flagrant entre la théorie et la pratique, ce qu’on m’a enseigné y a 5,10,15 ans ne me sert à rien ou presque sinon de faire peut-être les câblages nécessaires à une adaptation à un poste de travail.
Combien de juniors occupent un poste plus élevé que des salariés plus anciens alors qu’ils n’ont pas l’expérience ni la pénibilité à accuser mais un salaire bien plus élevé ?
Pour les apprentis qui galèrent, qui en souffrent là aussi c’est subjectif quand on sait que tout effort est désormais devenu pénible pour la génération des années 2000-2005.
C’est le retour du boomerang. La facilité finit par se retourner contre une génération qui a cru que tout pouvait s’obtenir facilement en claquant des doigts et en comptant sur papa et maman.
Désolé d’être cru ou de le paraître, mais vous comme moi vous avez aussi connu des désillusions, des espoirs avortés, mais vous vous êtes accroché et vous avez pu obtenir plus ou moins la situation que vous souhaitiez.
Le mot de la fin c’est que peu importe le contexte dans lequel on se trouve, il y a toujours lieu de s’engager dans son travail, qui même s’il ne récompense pas au début, finit par récompenser des efforts réalisés un moment donné.