Durant cette période de vacances, j’ai reçu environ sept à huit messages d’élèves. Je ne compte pas les mails du lycée. À quel moment, j’ai perdu le sens des vacances, à quel moment j’ai tué mon droit à la déconnexion.
De mauvaises bases
Avant d’être enseignant, j’ai connu le monde du travail. Il s’agit d’une boutade face aux gens qui pensent que les profs ne font rien. Je dépasse très régulièrement les cinquante heures de travail par semaine. Ingénieur pour BNP Paribas, je participais au workflow de la BNP et à l’application finale du banquier. Cinq semaines de congés payés, mais du code qui continue de tourner en mon absence. À cette époque où tout n’était qu’urgence, le prestataire que j’étais passait son temps à coder, pas à documenter. L’époque voulait certainement qu’on se posait moins de questions, on décrochait le téléphone quand on avait besoin d’avoir un renseignement sur une chaîne. Une logique, si j’appelle mon collègue, car sa chaîne est plantée, il m’appelle quand un de mes programmes pose un problème.
Ainsi, quand je prenais des vacances, il n’était pas rare de répondre au téléphone en bord de mer pour expliquer telle ou telle partie de programme. Pour la petite histoire, alors que je basculais dans le monde de l’enseignement agricole, je continuais à donner des informations plusieurs mois après avoir quitté mon poste de développeur. Je n’ai jamais cessé d’avoir cette même mentalité dans le monde de l’enseignement avec une propension à répondre à toute heure et à toute sollicitation.
Je pense qu’on peut dire que je suis workaholic. Une vie dans l’angoisse du travail non fait, mal fait et certainement pour plusieurs raisons. Mon entrée dans le monde du travail comme évoqué plus haut, mais aussi d’autres facteurs. Mon éducation, je fais partie de la génération dans laquelle il fallait bien travailler à l’école. Le fait que « mon travail », ce sont des jeunes, fragiles, dans le besoin, attachant. Je suis père de famille, je vis l’incompétence de mes collègues au travers de mes enfants. J’ai été élève et j’ai croisé davantage de malveillance que de bienveillance. On se prend souvent à se dire qu’on ne reproduira pas certains schémas.
La COVID ou la mort de la déconnexion
J’évoquais plus haut des semaines de cinquante heures, j’ai flirté avec les 70 à 80 heures de travail durant la COVID. La COVID a fait exploser la notion de temps, et par le fait de déconnexion. Une situation totalement inédite où nous étions devant nos ordinateurs ou nos téléphones en permanence. Faire des visios, répondre à des mails, aux ENT, passer des appels, enfin bref, je crois que tout le monde comprendra ici de quoi je parle. L’une des problématiques, c’est le rythme de vie de chacun. Certains élèves envoyaient des messages à 3 h du matin, car c’était leur créneau pour faire des exercices de mathématiques. Se faisant on pouvait travailler à toute heure, je me rappelle avoir fait une visio avec un élève à 7h30 le matin.
Avec la COVID, il y a eu une cassure de l’imperméabilité entre travail et vie privée. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les gens qui télétravaillent doivent avoir une organisation parfaite. L’enseignant jusqu’à maintenant inaccessible devient à portée de clics.
Cette mentalité perdure aujourd’hui, si bien que les élèves utilisent les ENT ou les réseaux sociaux pour vous contacter, et trouvent cela normal. Une normalité pourtant qui n’a pas sa place dans les autres corps de métier. On ne contacte pas son garagiste ou son médecin après le temps de travail, l’enseignant oui.
La fonction de l’enseignant a de même changé, on se permet des choses qu’on n’osait pas avant. À l’heure des réseaux sociaux, de la communication continue entre les individus, on pourrait penser que récupérer un cours manqué, c’est simple comme bonjour. Non, on demande à l’enseignant un cours manqué ou pourquoi pas une explication, comme au bon vieux temps de la COVID.
Comment changer la donne, comment reconquérir son droit à la déconnexion ?
Le problème de la déconnexion n’est pas celui des autres, mais le mien
J’ai parfaitement conscience que le problème de déconnexion ne tient qu’à ma personne. C’est un droit, j’ai fait le choix de ne pas en user, c’est mon problème. Les élèves le sentent, ils m’écrivent souvent plutôt qu’à leur professeur principal, car ils savent que je vais répondre. Il s’agit là d’une logique de la société, on demande toujours aux mêmes. C’est tout le paradoxe de l’enseignement, la paye n’étant pas calculée sur l’investissement, mais sur l’ancienneté, moins on fait, moins on est sollicité. L’enseignant prudent a ainsi tout intérêt à se modérer s’il veut être tranquille. Cela n’aura aucune incidence sur son salaire.
Même si, comme indiqué en préambule, il s’agit de jeunes, d’êtres humains, enseigner est un métier, pas un sacerdoce. À travailler comme un acharné, autant faire un autre métier plus lucratif au niveau du taux horaire. Bien sûr, chacun aura son histoire d’enseignant qui sauve des vies, le professeur qui a inspiré des gens. Sauf qu’on oublie que derrière chaque histoire magnifique, il y a un homme, une femme, qui ne peut pas étendre son temps à l’infini et qui doit faire des arbitrages s’il tient à sauver sa peau.
Il s’agit bien de ceci, sauver sa peau. Répondre à toutes les sollicitations, c’est du travail supplémentaire, du temps qu’il faut bien prendre quelque part. Vie de famille, temps pour soi. Le conte de fée de l’enseignement se paye au détriment de la santé des individus.
Les solutions à mettre en place
Ces vacances, j’aurais fait le contraire de ce qu’il fallait faire, à commencer par répondre aux messages sur ecoledirecte. On en revient à la psychologie de l’individu, je vois un message, je ne peux pas m’empêcher de répondre. Pour la première fois, néanmoins, face à un élève qui jugeait sa demande comme un dû, j’ai rappelé que j’étais en vacances. J’ai placé de façon systématique que j’étais en vacances avec copie les parents. Car ici aussi, la sensation omniprésente que certaines responsabilités qui reposaient sur les parents sont désormais les nôtres.
J’ai fait de mon compte Instagram un compte qui me permet d’être retrouvé publiquement, facilement, sur un réseau social connu. C’est grâce à lui que j’ai pu retrouver d’anciens élèves qui ont désormais une trentaine d’années. C’est avec plaisir que je revois certains d’entre eux quand ils passent dans le sud de la France. Il s’agit aussi d’une manière de monter un réseau. J’ai de nombreux jeunes qui se sont insérés dans la société, certains ont su me dépanner par leur domaine de compétence.
L’effet de bord d’être public et accessible, c’est d’avoir des élèves qui m’écrivent pour demander un coup de main en maths, en informatique ou sur toute autre thématique en lien avec l’école. J’ai coupé de nombreuses notifications, si bien que je me coupe de la réponse à l’instant présent pour ne répondre que lorsque j’ai envie de répondre. Je n’ai plus d’onglet Instagram ouvert sur mon PC, ni l’application sur ma tablette, seulement sur mon téléphone. Je viens de basculer sur un compte privé, de façon à donner la sensation supplémentaire qu’il s’agit de ma vie privée.
Il s’agit de deux ambitions qui vont dans la même direction. Me forcer à respecter ce temps de vacances et répondre si je juge que c’est important ou non. Organiser un travail de sape pour moins donner l’envie de me joindre. Si je réponds moins, si je suis moins dans l’immédiateté, alors on me sollicitera moins.
Un bien pour un mal, un mal pour un bien
Un bien de façon évidente, car la déconnexion est légitime. Avoir le nez dans le guidon en permanence, c’est la meilleure manière de prendre le mur. Et pourtant, ce temps pris durant les vacances, dans les soirées, dans les weekends, c’est autant de temps gagné qu’il faudra caser dans la semaine, durant le temps de travail.
Car pour cet élève qui a besoin de ses conventions de stage, de ce renseignement, c’était peut-être urgent. Sauf qu’en fin de compte, on réalise que souvent, c’est pour les mêmes élèves qu’on est dans l’urgence. Cet élève qui vous donne sa convention de stage au dernier moment ou celui qui a perdu pour la troisième fois un document.
L’urgence se définit et c’est à l’enseignant de définir les urgences, pas aux élèves. Car c’est aussi l’un de nos travers, à vouloir accompagner, à vouloir protéger, nous sommes un parachute permanent pour nos jeunes. Si l’élève en fin de compte rate son stage parce qu’il n’avait pas ses conventions, il apprendra peut-être à faire plus attention la prochaine fois. Restera le problème des parents et des collègues, et c’est un autre débat. En effet, l’un de nos enjeux pour les parents, c’est d’arriver à les faire communiquer par le biais de l’ENT. En fin de compte, ne pas répondre, c’est casser l’élan. Il faut donc, comme pour les collègues, trouver le juste équilibre, cette fameuse définition de l’urgence.
Désormais, il n’y a plus qu’à. Un engagement qui je l’espère sera plus long qu’une inscription à la salle de sport un premier janvier.
diantre, un billet de blog !
Un billet d’humeur, pas un billet de blog.
Fichtre, un billet d’humeur semble-t-il tiré d’un blog que j’ai bien connu 😁
Ce que j’aime ici et comme tu l’as souvent fait c’est que tu arrives à tirer toi même les conclusions de tes propres réflexions.
Tout métier de service avec de l’humain implique aujourd’hui une relative connectivité, mais désormais plus virtuelle que réelle. Rappelons nous bien que l’avènement du numéro devait apporter une décrue du temps de travail. Ce sera pas pour tout de suite.
Ma compagne qui est prof des écoles fait sa première année de titulaire stagiaire et je vois déjà qu’elle est comme toi, qu’elle répond aux sollicitations des parents a des heures pas possibles, même quand ce n’est pas capital.
Cette envie de vouloir toujours bien faire c’est peut-être aussi un manque d’assurance et une peur d’être jugé de ne pas faire autant sinon plus que le voisin. Ça mène à rien, en effet la paie est la même et la reconnaissance inexistante.
J’ai fait prof pendant un an, je suis devenu cheminot, je consulte ma boîte mail pro mais je réponds pendant mes heures de service. Quand je finis ma journée ma vie perso m’appartient et le boulot n’empiète pas, c’est important pour l’équilibre.
Si un élève te sollicite à pas d’heure il avait qu’à s’y prendre avant, tu peux pas être la boucle de rattrapage perpétuelle