Jean Van Hamme qu’on a déjà vu pour les maîtres de l’orge, aura été un scénariste prolixe. S’il fallait retenir pourtant trois personnages de son œuvre colossale : XIII, Largo Winch et Thorgal. Pendant des années, XIII était mon préféré. Il faut dire que l’homme sans identité, qui se sort de toutes les situations, avait tout pour plaire. Des rebondissements, de l’action, de l’humour. Et puis comme souvent les séries s’étirent. Et s’il y a bien une série qui aurait dû s’achever, c’est elle. Largo Winch, le milliardaire qui a grandi dans un cirque, est un personnage similaire. Beau gosse qui règle tout entre l’humour, les liasses de billets et les gros flingues pour des situations impossibles.
Thorgal est finalement le héros qui fait le moins rêver. Sans humour, un sens de l’honneur indéfectible, amoureux de sa femme et père de famille. Thorgal est en apparence le héros trop lisse, loin des bad boys qui plaisent aujourd’hui. Pourtant, la série vieillit plutôt bien quand les autres ont pris un coup de vieux, Thorgal a encore des choses à nous dire.
Thorgal l’enfant des étoiles, mais surtout Thorgal le maudit.
Avec ses trois séries phares, il a bien fallu que Van Hamme joue la différence. Dans les personnages bien sûr, comme explicité plus haut, dans les univers aussi. Thorgal se déroule chez les vikings et puise dans la mythologie nordique. Mais aussi dans l’architecture de la bande dessinée. Alors que XIII fonctionne dans une série, en continu, avec son lot de cliffhangers, Largo Winch c’est par diptyque. Pour Thorgal la construction est épisode après épisode pour une bonne partie de la série avec parfois des cycles de trois ou quatre tomes.
Ce qui est le plus frappant chez Thorgal, c’est de voir que tous les malheurs du monde s’abattent sur lui. Alors que XIII et Largo Winch sont des aventuriers, Thorgal aspire à vivre paisiblement avec son épouse et ses enfants. Assez rapidement, il quitte le village du père d’Aaricia pourtant fille de chef viking, pour trouver un endroit tranquille où il sera fermier. Thorgal ne cherche pas les problèmes, il les attire.
On apprendra rapidement que Thorgal est un enfant des étoiles. Cet élément va avoir une conséquence directe sur sa descendance qui va posséder des pouvoirs magiques. Pour le reste, Thorgal est maudit, on lui refuse le bonheur. Alors qu’il pense avoir trouvé la paix, à chaque épisode un nouvel événement dramatique apparaît.
Notre héros va vivre de très nombreuses aventures, certaines en lien avec son histoire de fils des étoiles, d’autres en lien avec sa malédiction qui lui colle à la peau. Des monstres, des territoires inconnus, autant de défis à relever pour espérer trouver un peu de paix.
Kriss de Valnor, l’autre femme
Dans le tome 9, les archers, fait l’apparition de Kriss de Valnor. Le personnage est suffisamment important que cette dernière hérite de son spin off. Ce ne sera pas la seule, à l’instar de XIII lorsque Van Hamme a stoppé la série, l’éditeur a multiplié les séries parallèles. Dans un article de 2018, l’auteur explique que les reprises sont plus ou moins catastrophiques. Ce n’est pas le propos de cet article, mais je trouve qu’il est intéressant de constater trois points. Le premier, c’est que désormais certains personnages de bande dessinée n’appartiennent plus à leurs auteurs pourtant vivants. Le second point, c’est que malgré l’abandon des droits d’auteurs, les créateurs ont beaucoup de mal à laisser échapper leur production. Enfin, le dernier point, les éditeurs sont prêts à tout pour vendre, sans s’interroger sur le fait de dénaturer ou non l’œuvre de l’auteur.
Kriss de Valnor est une voleuse que Thorgal rencontre dans un concours d’archer. Femme fatale, ils se recroiseront de nombreuses fois dans les aventures du guerrier. Dans des circonstances que je ne spoilerais pas, elle aura un enfant de lui : Aniel. Elle est l’un des personnages phare de la série, car elle est finalement le contraire de Thorgal et de son épouse. C’est ici qu’on voit que Thorgal est une série très manichéenne, Aaricia la blonde, Kriss la brune, l’une symbolisant la pureté, l’autre le mal.
Des changements d’auteurs et de dessinateurs, pour continuer de faire vivre la poule aux œufs d’or
D’après Wikipédia, de 1980 à 2018, Thorgal c’est 16.6 millions d’exemplaires. Difficile d’abandonner, pour un éditeur, un succès commercial. C’est donc Van Hamme qui a décroché le premier puis au tour de Rosinski le dessinateur. Pour ce dernier, j’ai envie de dire qu’il était temps. Le trait dans le Cycle des mages rouges se détache trop de la bande dessinée pour ressembler de plus en plus à de la peinture. La reprise du dessin par Fred Vignaux est pour ma part positive. Le dessin plus épuré se rapproche du Thorgal des débuts.
En ce qui concerne l’histoire, j’aurai finalement tendance à donner raison à Van Hamme. Alors qu’on pourrait penser l’auteur aigri, critique sur la reprise de son travail gratuitement, il dit quelque chose de très vrai : Thorgal était très personnel pour moi et il faut vraiment avoir la mentalité du conte qu’apparemment ils n’ont plus. Le scénariste a raison, le cycle des mages rouges pour ne citer que lui emmène Thorgal dans une ville qui s’apparente à Bagdad. On y voit pour la première fois l’apparition du christianisme dans la bande dessinée. Presque, j’ai envie de dire des faits historiques. L’ambiance tourne au glauque et au sérieux.
Ce que je trouve de bien dans Thorgal c’est la légèreté de la bande dessinée, cet esprit de conte. Sur ce cycle, Aniel possédé par l’incarnation de son aïeul, pas très original, se transforme en chef religieux et fanatique. Thorgal est tenté pour la première fois par une autre femme. La bande dessinée perd de son charme, comme Astérix, comme les autres, il aurait mieux valu tuer les héros.
On se rend compte que la reprise de personnages existants, c’est se soumettre à des codes que les nouveaux auteurs essaient de casser. Compréhensible, car en plus de quarante ans, le lectorat évolue, mais tous les codes ne sont pas bons à casser, comme la fidélité de Thorgal.
Et des spin off de Thorgal pour en faire encore plus
Trois séries sont écrites à l’heure actuelle. La jeunesse de Thorgal, Kriss de Valnor et Louve. Louve est la seule fille de Thorgal. Alors que Jolan, son fils ainé, joue un rôle prépondérant dans ses aventures au point de l’accompagner, Louve est au second plan. Les auteurs ont dû trouver que c’était rendre justice que de lui consacrer une série.
La jeunesse de Thorgal est une série complète qui va se centrer sur Thorgal avant son mariage avec Aaricia. La série est actuellement en cours et compte dix tomes. Alors que le premier album aurait pu nous laisser supposer, une série de one shot ce n’est pas le cas. Sur une très longue partie, l’enjeu principal sera le mariage d’Aaricia avec un riche viking. En effet, on peut se demander pourquoi Gandalf le fou qui déteste Thorgal a laissé sa fille l’épouser alors qu’il est déshérité. Dans cette histoire, on découvre comment Slive la première « femme des étoiles » que rencontre Thorgal a été enfermée. Le dessin fonctionne, l’histoire pas trop mal non plus même si je trouve que le sauvetage d’Aaricia traine en longueur.
Le spin off autour de Kriss de Valnor permet de combler des trous dans l’histoire de la bad girl de la série. Alors que Kriss blessée se sacrifie pour sauver Aaricia, sa famille, mais surtout son fils, comment survit-elle ? Comment Kriss devient reine du nord ? Quelle est son enfance ? Autant de réponses qui nous sont données dans cette série particulièrement efficace.
Enfin Louve, la petite fille. Le personnage étant un enfant, on ne s’étonnera pas d’avoir une orientation vers les Dieux, comme c’était le cas avec Thorgal enfant. Louve retrouvera la gardienne des clés ou les nains comme son père avant. Plutôt réussi comme Kriss de Valnor avec un esprit qu’on ne retrouvait plus dans la série originale.
Toujours plus !
À l’instar de Batman, Thorgal est un héros qui n’appartient plus à son auteur. Et comme pour Batman qui aura été ninja ou qui aura vécu des univers parallèles, désormais Thorgal explore d’autres possibilités. C’est ainsi qu’avec Adieu Aaricia, on retrouve un Thorgal vieux qui enterre son épouse.
Sous couvert d’un « concept », différents auteurs vont s’approprier le personnage pour lui faire vivre de nouvelles aventures. L’occasion pour le lombard d’inonder un peu plus le marché des héros de Van Hamme… pour le meilleur ou pour le pire. Dans cette histoire, le serpent Nídhögg donne un anneau à Thorgal pour qu’il puisse revoir sa bien-aimée dans le passé. C’est dans l’enfance qu’il se retrouve et qu’il va vivre une aventure avec son double adolescent. Un tome parfaitement dispensable pour ma part.