Il est difficile d’échapper aux articles sur l’intelligence artificielle et les réactions des enseignants sur ce que va devenir l’éducation. Il faut dire que c’est l’affolement chez les géants de la tech. Je n’ai pas évoqué ChatGPT car en moins d’une quinzaine de jours chacun y va de son intelligence artificielle. Mais s’il fallait évoquer ChatGPT, l’information la plus importante ce sont les milliards que Microsoft investit dans cette IA.
Microsoft y croit, et pour une seule et bonne raison. Microsoft est à la traîne face à Google dans la recherche. Les intelligences artificielles révolutionnent la recherche, et Microsoft voit l’opportunité de reprendre la main sur un secteur qui lui échappe. C’est donc l’heure des grands mouvements dans la technologie, des investissements. Situation qui va comme toujours très rapidement et qui interpelle les gens en bout de chaîne, les profs en premiers.
L’arrivée de l’intelligence artificielle dans l’éducation, premières frayeurs.
Imaginez un logiciel capable de faire votre travail, forcément les jeunes s’engouffrent sans se poser de questions. Si on a pu voir une vague d’articles de situations se déroulant aux USA, la pandémie arrive en France. Le parisien titre : ChatGPT : une vingtaine d’étudiants de Strasbourg repassent un examen après avoir triché.
Dans le cas présent, ce n’est pas vraiment problématique. Il s’agit d’une fraude durant un examen. Et ce qui est intéressant, c’est que c’est un examen en distanciel. C’est un facteur fondamental, car il montre que l’évaluation aujourd’hui ne peut avoir du sens qu’en présentiel. En effet, même s’il y aura toujours des apprentis James Bond, il est bien plus difficile de sortir son téléphone dans une salle d’examen que chez soi.
Je pense toutefois que si les élèves repassent l’épreuve et qu’ils ne sont pas sanctionnés de cinq ans d’interdiction de passage de tout examen, c’est le flou autour de l’IA. Quel règlement intérieur a pu prévoir ceci alors que ChatGPT affole les compteurs depuis quelques semaines seulement.
C’est le travail à la maison qui est remis en cause, confirmant ainsi qu’une évaluation qui a du sens se fait seulement en présentiel. J’ai envie de dire que ça, on le savait déjà.
L’intelligence artificielle au service de l’ascenseur social
Le travail à la maison est un véritable problème de fond dans le monde de l’éducation. De nombreux collègues ont renoncé à donner des devoirs maisons. Pour ma part, j’adopte une stratégie différente. Je donne des DM, je ne les note pas, je mets un contrôle avec des exercices quasiment identiques, mais en changeant les valeurs. Il faut avoir compris les énoncés pour réussir à s’en sortir.
C’est un contournement, pas la solution. J’écris que l’intelligence artificielle est au service de l’ascenseur social. En effet, on n’a pas attendu d’avoir une intelligence artificielle pour avoir des gens qui font le travail dans l’éducation. Professeur particulier, parents, élève plus doué que les autres qui font le DM pour une dizaine de personnes. Tous les enseignants sont confrontés à ce problème.
Avec ChatGPT, il suffit à un gamin qui n’a ni le cadre familial, ni les moyens financiers de faire sa requête comme les autres. C’est bien ici un point positif, ce n’est pas le seul comme on le verra plus loin. Il n’empêche que si ChatGPT fait le travail, il n’est en rien la réponse à la problématique de l’élève et à celle de l’enseignant. L’élève finira par se retrouver seul face à sa copie et échouera s’il n’a pas fourni les efforts. L’enseignant n’arrive pas à communiquer l’importance de l’entraînement pour réussir.
L’intelligence artificielle ne change rien dans l’éducation, c’est un facilitateur de plus dans un constat d’échec de notre société. Le goût de l’effort est mort. Les plus optimistes diront que les jeunes ont le goût de l’effort pour des choses qui les intéressent. Peut-être et encore, faut-il trouver un centre d’intérêt. Lancer la machine à laver, certaines tâches ingrates doivent être réalisées, il n’y a pas encore de robots ou d’intelligence artificielle pour nous offrir la pleine oisiveté.
Une logique d’adaptation des contenus que nous connaissons déjà
La dernière mise à jour de la Numworks est l’illustration parfaite d’une situation bien connue.
La classification périodique fait son apparition. Exit ici sauf si on fait l’évaluation sans calculatrice, l’évaluation où l’on ferait réciter par cœur la classification périodique. Évaluation que je trouve d’ailleurs totalement absurde, même si c’est un bon travail de mémoire. J’ai passé des heures plus jeune à apprendre, avec des phrases mnémotechniques, Napoléon Mangea Allégrement Six Poulets Sans Claquer des Articulations : Sodium – Magnésium – Aluminium – Silicium – Phosphore – Soufre – Chlore – Argon. Avec du recul, si on réfléchit bien, l’intérêt est nul.
Les calculatrices sont de plus en plus puissantes, et pourtant les élèves ne sont pas meilleurs. En mathématiques, avec la réforme du BAC PRO, il est explicitement dit qu’il est inutile de faire la résolution des équations du second degré par le delta. Il y a quelques années encore, on faisait les calculs à la main ou on faisait programmer la résolution. On fait une résolution avec la calculatrice, en montrant graphiquement, les intersections entre une droite et une parabole.
Si nous avions eu ces outils il y a trente ans, dans les conditions d’exigence de l’époque, nous aurions obtenu des résultats extraordinaires. Et c’est ce qu’il faut comprendre, l’outil est un facilitateur pour qui sait ce qu’il doit déjà faire. Avec des élèves qui n’ont pas la compréhension, ChatGPT ne sert à rien, tout comme la Numworks ne sert à rien.
On continue autour de la même boucle, ce serpent qui se mord la queue, tant qu’il n’y a pas de travail personnel, d’entrainement, de compréhension, il ne peut y avoir de réussite.
On comprend que ce n’est pas l’intelligence artificielle qui pose un problème, mais l’évaluation qui est à repenser en tenant compte de l’outil.
Apprendre à l’utiliser plutôt que de conspuer
Les intelligences artificielles dans l’éducation peuvent avoir à mon avis des points positifs. Au moment où j’écris ces lignes, je viens d’aider une élève dans la résolution d’un problème de collège. Plutôt qu’une intelligence artificielle qui donne la réponse, une intelligence artificielle éducative qui donne des éléments de réponse. En effet, la démarche de résolution de problème est devenue un véritable souci en lien avec ce qui précède. L’enfant, peu habitué à faire des efforts, abandonne particulièrement vite. Nous sommes dans une génération où l’on veut tout et tout de suite. Une intelligence artificielle en lien avec l’éducation, entraînée à distiller l’information, avec un minimum de ludification, serait à considérer comme une alliée.
De la même manière, je fais réaliser des CV à mes élèves de troisième. Comme je l’écrivais dans Mastodon, même si cela peut sembler aberrant pour des enfants de 14 ans, les CFA du sud de la France réclament ce document. Je suis de façon systématique en train de répondre par ecoledirecte qu’il va manquer la certification PIX, le passage de l’ASSR2, corriger des fautes d’orthographe. Une IA « Cyrille BORNE » qui indiquerait à l’élève certains oublis, pointerait des structures de phrases incorrectes ou les fautes d’orthographes serait un véritable gain de temps.
Ni noir, ni blanc, seulement un manque de temps pour préparer l’avenir.
L’intelligence artificielle dans l’éducation ne va pas tout chambouler. En outre, elle pose le même problème que pour les réseaux sociaux. On se rend compte que du jour au lendemain, les suicides augmentent, le niveau baisse, les enfants sont dépressifs et addicts. Si certains états ont pris conscience du problème, les dictatures, en limitant de façon drastique, dans les démocraties rien.
Et c’est ici qu’on peut être interpellé sur qui mène la danse ? Aujourd’hui de toute évidence, les industriels. L’union Européenne a un peu montré les dents sur la norme des chargeurs, pour un problème qui dure depuis des décennies. Rien n’arrive encore sur la gestion des réseaux sociaux et le contrôle parental imposé sur les appareils est ridicule. Avant que le sujet des IA arrive sur la table des ministres, nous serons peut-être dirigés par des IA.
La marche forcée du progrès nous montre entre le réchauffement climatique et les maladies, que la modernité n’est pas forcément synonyme de vivre mieux. Quand les outils informatiques devaient être le symbole d’un allègement des tâches, nous n’en finissons plus de nous épuiser au travail. Si les IA allègent notre travail et nous font repenser l’évaluation, pourquoi pas. Pour l’heure, on voit déjà les requins de la finance qui voient comment l’IA réfléchit plus vite que son personnel. À l’heure actuelle, l’IA ne se présente en aucun cas comme un chemin positif, mais un problème de plus à affronter.
Je trouve qu’il y a un gros souci pas assez souigné sur le comportement de ChatGPT : l’IA indique toujours une réponse, même… fausse.
Son « devoir » est de répondre, pas de vérifier puis répondre.
Si elle connaît la réponse, c’est ok sinon elle répondra une chose cohérente.
J’ai re-testé un exemple trouvé sur Twitter et eu une réponse :
Question : Cite moi des femmes premier ministre française de la 5eme république
Réponse : Il n’y a pas eu de femme Premier ministre en France durant la 5ème république.
Ok, Cresson et Borne apprécieront.
Sur Twitter, la personne avait montré que l’IA avait carrément répondu Dati avec une date des fonctions de première ministre.
Ça craint.
La réponse est facilement trouvable sur Wikipédia, en plus.
C’est vrai qu’avec ChatGPT, il y a beaucoup de remises en questions dans pleins de secteurs. Comme tu le dis, le problème de fond lui ne change pas, les élèves doivent comprendre ce qu’ils font. Je ne savais pas pour Strasbourg, étonnant que ce soit en distanciel comme ca, ChatGPT ou pas …