Humeur : école de l’innovation ou de la dispersion ?

Niveau des élèves, salaire des enseignants, pénurie de profs, il n’est pas compliqué de se rendre compte que la situation va mal. Le métier d’enseignant n’attire plus. Les enfants ont un niveau de plus en plus faible. Des décennies qu’on cherche des solutions pour un malaise qui va croissant. Vingt ans de métier, toujours la même passion, mais un ennemi est de plus en plus présent : la dispersion.

Le problème scolaire synthétisé en quelques lignes

On pourrait en faire des caisses sur les origines du problème scolaire et notamment sur la baisse de niveau. Le gouvernement de Nicolas Sarkozy pensait à l’époque qu’il s’agissait d’un problème de niveau des enseignants. Nous sommes ainsi passés d’enseignants de profil BAC +3 à BAC +5. Le niveau a pourtant continué de baisser. On aurait pu souffler à l’oreille du président que certains enseignants de l’école normale avaient un niveau BAC. Néanmoins, les élèves étaient meilleurs avant.

Depuis plusieurs décennies, ce qu’on peut constater de façon évidente : l’explosion de la structure familiale, la remise en question de l’autorité, l’attractivité d’une société de loisir et la fin des exigences. De façon synthétique, un enfant a une propension à l’amusement. Si vous lui mettez les outils pour s’amuser à disposition, il est tenté. Si maintenant plus personne ne fait le gendarme pour l’arrêter, qu’on ne lui demande plus rien, il va faire plus de loisirs. Ajoutons à cela que les parents sont parfois dépassés par leur propre vie personnelle, ils cherchent ainsi un coupable tout désigné dans l’institution, et vous avez la situation actuelle.

Une illustration de l’effondrement de l’école.

La « solution » : les nouvelles technologies

J’ai vu arriver l’informatisation de notre métier sur les vingts dernières années et ça n’est qu’un début. Si tout le monde s’est félicité avec la COVID de l’accélération de l’adhésion des enseignants aux nouvelles technologies, tout le monde constatera une augmentation considérable de la charge de travail. L’enseignement n’est pas le seul métier concerné, tout le monde dira que l’informatique n’a en rien facilité le travail, éventuellement la productivité, certainement le stress.

Sur les dernières années, ce que je constate :

  • Les examens d’entrée en classe de seconde qu’il faut organiser. Il s’agit de placer un enfant devant un ordinateur pour vérifier son niveau post troisième. Cela marque entre parenthèse le peu de crédit qu’on donne au DNB.
  • PIX pour évaluer le niveau informatique des enfants.
  • Les ENT et leur messagerie qui fonctionnent H24 où vous répondez à des familles après 22 heures ou à des élèves durant le week-end. Ces mêmes ENT dans lesquels vous aurez l’intégralité de vos cours en ligne.
  • Le LSU, le livret scolaire qu’il faut alimenter de façon régulière et qui se rajoute au bulletin scolaire.
  • Parcoursup.
  • Les MOOCS, les exerciseurs en ligne et toutes ces plateformes que vous devrez utiliser pour créer des parcours individualisés.

La liste est longue, et ne finit pas de se rallonger. Il faut comprendre que ce qui précède n’existait pas il y a dix ans. On pense qu’en multipliant les évaluations, et donc les statistiques, on arrivera à mieux cerner le problème scolaire.

Plus de travail, mais pas plus de considération ou d’argent

On comprend alors qu’il est difficile d’expliquer à des enseignants qu’ils vont devoir exécuter des tâches supplémentaires pour augmenter leur rémunération. En effet, la liste se rallonge, mais la paye n’augmente pas. Pourtant, toutes ces tâches n’existaient pas et l’administratif prend de plus en plus de place dans nos vies d’enseignants. C’est un problème que de nombreux professeurs soulignent. Il faut revenir au cœur de métier, enseigner, s’occuper des élèves.

Rajoutons à cela, des relations avec l’administration compliquées. Au moment où j’écris ces lignes, je n’ai pas été payé de mes copies de DNB de 2021. Une aumône d’une trentaine d’euros. J’ai cependant effectué ma mission de service public en 2022. Alors que l’état recrute comme il peut des contractuels, on a besoin de personnes en place pour faire tourner la boutique. Voici le témoignage d’un collègue professeur des écoles.

Un diplôme à BAC +5, une rémunération qui ne correspond pas aux heures effectuées, des gouvernements qui ne font rien, des familles de plus en plus agressives, des enfants en grande difficulté. Pas besoin d’aller chercher bien loin le malaise et la crise des vocations.

Les nouvelles technologies, source d’épuisement et de dispersion

J’évoque ici des tâches administratives et informatisées, mais l’informatique est devenue obligatoire dans nos pratiques pédagogiques et c’est un problème. On pense en effet que l’aspect ludique de l’écran va réussir à révolutionner la pédagogie. C’est ainsi qu’on se retrouve avec des classes mobiles, des tablettes, des ordinateurs de la région. Des dépenses conséquentes en matériel sans avoir associé les premiers intéressés, les enseignants. On notera que derrière chaque fournisseur de matériel, un constructeur. Apple, HP et les autres se sont gavés sur le dos de l’éducation nationale. Pour le logiciel, Microsoft n’est pas en reste, tout comme les développeurs de solutions pour l’école. Le numérique fait bien les affaires des sociétés. Des sociétés qui ont tout intérêt à pousser leurs solutions et à ce qu’on les renouvelle souvent. On peut compter sur l’obsolescence pour cela.

L’un des exemples les plus frappants, c’est l’arrivée en force de Python.

Avec ma collègue, lorsque Python est arrivé de façon officielle dans les classes de seconde générale, nous nous y sommes collés. J’ai un passif de développeur, c’était plus facile, mais j’ai dû me mettre à un langage de programmation. On a vu comme une évidence cette arrivée, sauf qu’on a oublié que les professeurs de mathématiques de plus en plus âgés n’ont parfois jamais écrit une ligne de code. Les formations officielles chez nous sont arrivées deux ans plus tard. Ma collègue me disait qu’en classe de 1ère STAV avec des élèves qui ne viennent pas de chez nous, certains élèves n’ont jamais fait de Python. Cela signifie que certains professeurs n’y sont pas encore passés.

Nous voyons arriver désormais Python dans l’enseignement professionnel agricole. Je n’irai pas discuter de ce choix pédagogique dans l’air du temps pour des élèves qui ne développeront jamais de leur vie. Une fois de plus dans notre métier où l’on met la charrue avant les bœufs, on constatera que le livre sort un mois après la rentrée. Les formations ne sont pas encore prêtes. Sur quatre enseignants de mathématiques, nous ne sommes que deux à connaître Python, je suppose que les deux autres ne le feront pas. Pas un problème de bonne volonté, mais d’accompagnement.

Un des seuls ouvrages de référence qui paraît un mois après la rentrée.

Derrière chaque nouvelle technologie c’est l’obligation de se former, et c’est du temps. La dispersion est en place, on doit assimiler la technologie du moment et s’éloigner encore du cœur de métier. Tout arrive de plus en plus vite et on oublie qu’un enseignant n’est pas forcément capable de tout assimiler pour le régurgiter derrière.

Et ici, il faut bien prendre conscience du problème. Je connais peu d’enseignants qui maîtrisent parfaitement Python et encore moins dans l’enseignement agricole. Nous avons donc tendance à apprendre en même temps que nos élèves. On oublie que la programmation c’est un métier, et qu’il faudrait des développeurs qualifiés pour pouvoir la transmettre. Tout ne se résume pas à un langage mais à un état d’esprit comme l’optimisation du code ou des tests d’entrée.

On rajoutera de plus que l’arrivé ede Python, comme tout élément du référentiel, n’est pas expliqué. On l’impose. Pas de formation, des référentiels qui arrivent en cours de formation, pas de livre, difficile d’obtenir l’adhésion des enseignants.

Le syndrome du premier de la classe, autre facteur de dispersion

On l’a bien compris, l’école va mal. Les écrans n’ont pas apporté la réponse tant attendue. Il n’y a pas de meilleurs résultats avec les classes tablettes. On a donc cherché du côté des innovations pédagogiques. Un des exemples de ces dernières années : la classe inversée. Le professeur à grand coup de capsules vidéos va faire ses séquences de cours que l’enfant va regarder chez lui. Arrivé en classe, on fait les exercices et le « feedback ». L’idée sur le principe est intéressante. Avec une capsule vidéo, l’élève peut suivre à son rythme le cours de son enseignant. Dans la pratique, entre l’ordinateur qui ne marche pas, la connexion internet ou la mauvaise volonté, c’est moins évident. J’ai pu faire des essais durant des périodes de COVID, à chaque retour en présentiel j’ai dû tout reprendre.

Dans les faits, c’est l’enseignant qui va devoir devenir vidéaste. Et si ce n’était que vidéaste. Expert en manipulation de tous les outils numériques, spécialiste des cartes mentales, de la méditation ou du dessin. Il devient créateur de jeux pour ludifier l’enseignement, participe à tous les projets et tous les concours.

À en croire certains, il faudrait être de toutes les pédagogies. Je souris régulièrement quand je vois sur Twitter des enseignants en plein milieu des vacances montrer leurs plus belles préparations, leurs performances. On pourrait dire que je suis jaloux ou que je suis frustré, mais ce n’est pas le cas. Souvent on s’arrête à montrer ce qu’on a fait. Ce qui serait plus intéressant, c’est de montrer comment on l’a fait et d’expliquer ce qui a fonctionné ou non.

Comprenez qu’ici ce n’est pas du partage pédagogique mais bien montrer qu’on est meilleur que les autres.

De la liberté pédagogique

La liberté pédagogique c’est la possibilité pour l’enseignant d’expliquer son cours avec sa propre sensibilité. Avec les années cette sensibilité est écrasée au profit des écrans tout-puissants et de l’innovation permanente.

Imposer l’innovation permanente, notamment au profit du numérique, c’est surtout décourager de nombreux enseignants. Tous les quatre matins, vous avez désormais une méthode formidable qui va révolutionner la pédagogie. Et pourtant, certains enseignants sont capables de transmettre leur savoir avec une simple craie ou des bouts de bois. Faut-il les mettre au pilori parce qu’ils n’ont pas utilisé la dernière tablette d’Apple ?

On essaie d’une part de faire de l’école un espace protégé, pays de la bienveillance, par exemple. Et de l’autre on fait subir à l’école tous les outrages en la faisant bouger tout le temps. Peu d’imposition pour nos enfants sur des exigences évidentes comme le soin, la rigueur, ou simplement le travail mais imaginer qu’on peut changer une institution qui fait travailler 10 millions de personnes chaque matin c’est facile.

Quand on redonnera à l’école le temps, le temps de voir si ça marche, le temps d’écouter l’ensemble des acteurs qui font l’école, on se mettra alors dans une position de compréhension du problème scolaire. Face à des gens qui sont persuadés d’avoir les solutions sans voir la jeunesse d’aujourd’hui, il est fort à parier que la dispersion soit reine pendant bien longtemps.

One Comment

  1. Mais ce n’est pas un problème d’orientation politique…? JDCJDR…
    Il paraît que M. N’Diaye aime la chantilly.

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