Le problème de la presse indépendante

Si on doit définir ce qu’est la presse indépendante, je dirai dans les grandes lignes qu’il s’agit d’une presse qui n’appartient pas à un grand groupe. Si on prend par exemple jeuxvideo.com, il ne s’agit pas d’un site de presse indépendant, mais la propriété de webedia. Webedia est un groupe de presse qui possède des sites comme AlloCiné ou Pure people. Le groupe vit principalement de publicités.

Nous avons vu régulièrement la problématique de la monétisation et ce que représente la publicité pour un site. L’obligation de produire beaucoup mais pas de qualité. En effet, la multiplication des articles entraîne la multiplication des vues et augmente les rentrées. De plus la publicité impose une ligne éditoriale peu engagée. Vous n’allez pas prendre le risque de critiquer les annonceurs. Par exemple, la chaîne TF1 appartient au groupe Bouygues. Il y a fort à parier qu’on ne verra pas une enquête sur l’entreprise de téléphonie ou de bâtiment.

Deux journaux ont tiré la sonnette d’alarme dernièrement, Next INpact et Canard PC. La problématique de Canard PC est plus complexe, en lien notamment avec l’inflation, le papier, je ne traiterai que le cas de Next INpact.

Les sites internet de passionnés ou les débuts de la presse indépendante.

Dans le début des années 2000, on assiste à une véritable démocratisation de l’ADSL. Avant cette époque, l’internet, c’est dans les universités ou dans les entreprises. À domicile, on doit se contenter de débits ridicules qui ne permettent pas de faire grand-chose.

L’arrivée de l’ADSL va changer la donne avec l’apparition des sites internet dont les fameux blogs. Il est intéressant de se dire qu’à l’époque, on rejoignait des communautés. Les réseaux sociaux nous ont fait passer de collectivités à l’individu. Cet élément sera aussi à prendre en compte pour comprendre un peu la suite.

Les gens qui ont tenu le cap et qui ont su se développer ont donc plus de 20 ans. Ces sites sont devenus de plus en plus importants et ceux qui ont tenu sont passés au professionnel. Nous n’avons plus de sites internets amateurs, mais des journaux en ligne. La dimension n’est plus la même, on paye des rédacteurs, des pigistes, comme dans un journal. Beaucoup de sites ont disparu depuis les années 2000, la grande majorité des autres s’est vendue à des groupes comme on l’a vu plus haut.

À l’époque, pour la petite histoire, jeuxvideo.com était un site de passionnés qui a démarré à Aurillac, dans le Cantal. Bien loin du groupe très parisien actuel.

Le changement de nom était obligatoire, le site ne traite plus que du hardware PC

Quel modèle économique ?

Si vous ne voulez pas appartenir à un grand groupe, si vous ne désirez pas mettre de publicité sur votre site, alors il faut payer. Et c’est ici que ça se complique. Le journal s’était fixé l’objectif de 15000 abonnés, ils sont aujourd’hui 7000. Je peux vous expliquer pourquoi je ne paye pas et je ne suis pas encore prêt à payer.

J’ai 47 ans, je fais partie des gens qui ont acheté des journaux papiers plus jeune. Je n’ai jamais acheté de contenus numériques écrits. En effet, j’ai connu la période de l’internet totalement gratuit qui a d’ailleurs entraîné la fin de la presse écrite. J’ai envie donc de dire que c’est inscrit dans mon ADN de ne pas payer. Pourtant, je fais partie typiquement du cœur de cible : je m’informe par écrit.

Il faut donc réussir à me convaincre que le contenu est pertinent. Malheureusement ce n’est pas le cas pour moi et pour plusieurs raisons. L’informatique m’intéresse de moins en moins, j’ai de moins en moins de temps à y consacrer. De plus, les quelques sujets que j’ai pu lire ne m’ont pas forcément intéressés. Ma démarche aujourd’hui est beaucoup plus pratique, comme le bricolage, si j’ai besoin de faire quelque chose, je vais le chercher, et ça se passe de plus en plus sur YouTube.

Finalement, la tranche d’âge au-dessus de la mienne qui s’informait avec le Monde ou même le Midi Libre sera peut-être davantage encline à payer pour avoir cette information… pour le journal numérique correspondant.

Un mauvais appel à la solidarité

On a vu donc des pointures de l’internet ou des anonymes sur Twitter notamment, relayer l’information et appeler à l’abonnement. Je pense que c’est un très mauvais raisonnement. On s’attacherait à penser que le monde ne fonctionnerait pas sans NextINpact, c’est totalement faux. Les gens font une confusion entre leur sympathie, leur affection pour un journal et la réalité.

La réalité, c’est que si le modèle économique est basé sur l’abonnement, s’il n’y a pas assez d’abonnés, c’est que le modèle économique est mauvais ou les contenus pas assez pertinents. C’est factuel. Quand quelque chose est apprécié, ça se vend. Il faut en effet se détacher de l’affect pour ne retenir que le produit et son mode de vente. On notera que je ne parle pas de qualité, ce n’est pas le débat.

Les associations vous le diront, sensibiliser n’est pas une mince affaire. Les gens sont sollicités de toute part et ne peuvent donner pour toutes les causes. Il ne s’agit pas ici de faire preuve de solidarité pour des gens atteints d’une maladie rare ou victime d’un fléau, mais d’acheter un produit, des contenus.

Miser sur des élans de façon régulière, c’est finir par lasser et ce n’est pas répondre à la problématique. Soit le produit est mauvais, soit le modèle économique est mauvais. Si le journal sera sauvé de manière provisoire grâce à l’appel, il faudra produire des contenus extraordinaires pour fidéliser. Si la situation ne se stabilise pas, il faudra fermer ou vendre.

Se poser les bonnes questions

Le modèle économique, c’est une chose, les contenus une autre, mais si le problème était encore ailleurs. Comme je l’ai expliqué, l’information par écrit, c’était valable en 2000, quid en 2022 ? Je peux vous donner quelques éléments de réponses personnels.

Benjamin a monté une chaîne TikTok.

La thématique de la chaîne reste globalement équivalent à ce qu’il fait sur YouTube pour l’histoire ou ici pour l’aspect culturel. Par exemple, il a repris des contenus explicatifs pour Stranger Things dont il a fait un billet ici. Nous sommes donc dans une chaîne de divertissement mais qui conserve son aspect culturel, l’apprentissage.

Le nombre de vues est beaucoup plus important que sur YouTube ou ici bien sûr, puisque nous pratiquons le marché de niche de l’écriture. Des gens commentent, un jeune a dit qu’il irait regarder les goonies pour comprendre les références. La moralité, c’est qu’il serait faux de penser que les jeunes ne s’informent plus, ils ne s’informent simplement pas de la même façon.

Les pavés de texte c’est devenu trop compliqué, les jeunes ont besoin d’un format court, visuel et dynamique. NextINpact fait donc le choix de voir son lectorat mourir avec lui puisque désormais il est dans un marché de niche : l’écriture.

Remédiation pour la presse indépendante ?

Aujourd’hui, se fermer les portes des réseaux sociaux, de TikTok, de YouTube, ne pas suivre les modes, c’est faire le choix de se couper du monde actuel et notamment de tous les jeunes. Alors oui, c’est céder à la mode, c’est utiliser des outils qui traquent, des outils qui ne sont pas éthiques. C’est mettre au même rang une agriculture bio cultivée par un petit paysan et un site internet fait maison. La comparaison s’arrête ici, un article informatique n’est pas une tomate ou une courgette. Le besoin n’est pas le même.

Lutter contre le sens du vent est un choix à assumer et il ne faut pas s’étonner d’aller tôt ou tard dans le mur. Je crois sincèrement qu’on peut utiliser ce type d’outils sans pour autant vendre son âme. On peut en effet avoir le bon message mais utiliser le mauvais messager même s’il doit s’appeler TikTok ou Instagram.

9 Comments

  1. Très bonne explication sur le fait de s’informer ailleurs.
    NXI a aussi un autre souci je trouve : leur cœur de cible/marché est une niche mais ils croient être grand public.
    L’informatique « généraliste » ça ne concerne pas grand monde (pas le grand public en tout cas).
    La sécurité des données idem.
    Et les infos plus spécifiques idem.
    Du coup, plusieurs solutions pour eux :
    – continuer sans rien changer => couler ou au pire crowdfunding ?
    – réduire la qualité mais pas la quantité => rachat par Reworld 😀
    – réduire la quantité mais pas la qualité => réduire l’audience déjà pas fameuse ?
    – faire plus grand public => intérêt aujourd’hui face à la concurrence ?
    – faire plus ailleurs => se couper de leur public habituel ?
    – refonder un autre business model avec en vue moins d’abonnés ?
    Bref, soit ils changent soit c’est la fin car comme tu l’as dit : ça ne marche pas comme c’est maintenant !

  2. Personnellement je me suis pris un abonnement au site mac génération car je trouve leurs articles bien fait. Et puis au site l’équipe (avec mega réduction) car tous leur articles sont payants.
    Sinon j’achète les journaux papier de temps à autre.
    Le week-end dernier en Italie je me suis acheté la gazetta dello sport, j’adore.
    Mes filles sont abonnées à des magazines papier également

  3. Ah j’ajoute que je viens d’essayer une vidéo tiktok, j’ai tenu 10sec. Clairement pas le public je pense.
    C’est la première fois je pense que je regardais une vidéo tiktok. Sûrement la dernière 😉

  4. Étrange fin d’article qui pourrait laisser entendre du fait que NXI n’est ni sur Tik Tok ni sur Instagram, c’est bien normal qu’ils coulent. S’il fallait prendre ce virage, autant brûler NXI et repartir de zéro sur un autre concept.
    Ils ont plus sûrement un problème de ligne éditoriale , ce qui transparaît bien dans les commentaires sur leur site. Baisse du nombre de journalistes. Les restants sont restés dans leur domaine de prédilection. D’où beaucoup (trop ?) d’articles juridiques. Et des diversifications perçues parfois comme hasardeuses. Par exemple l’apparition d’articles sur l’espace.
    Un public adulte qui aime lire sur le sujet du numérique, c’est un peu niche mais pas tant que ça pour peu que la ligne éditoriale tienne la route. Ce type de public, sur le long terme, est peut-être aussi moins volatil que le très jeune public de Tik Tok qui passera dans très peu de temps à une autre plateforme.

    1. À une époque, j’aurais pensé qu’on pouvait être populaire sans manger à tous les râteliers. La segmentation des publics est tellement importante que soit tu arrives à tenir dans un marché de niche sur des sujets très pointus où les gens ont de l’argent, soit tu es forcé d’être partout. Je pense que le profil de l’informaticien a changé. Il doit certainement y avoir des gens prêts à payer pour des informations techniques très pointues, peut-être moins sur des aspects politiques comme la Hadopi ou d’autres.

  5. Cela fait bien longtemps que je ne lis plus Nextimpact et quand j’ai vu ces appels, je suis retourné voir le site…Et même si je raisonne comme toi (pas pour le bricolage), je ne suis plus dans la cible, comme je ne suis plus trop dans celle de Canard PC non plus. Il n’y a plus assez de fond pour me passionner d’un coté et ça reste dans un format vieillot si je me place coté public actuel sur ce sujet.
    Pour avoir tenté l’aventure sur le créneau musical il y a des années, j’ai vu le problème et abandonné l’écrit et le site. Ceux qui ont continué restent aussi dans une niche mais se maintiennent à travers partenariat, diffusion de vidéos bootlegs etc…Un peu limite d’ailleurs coté droits mais ça c’est un autre sujet. Donc c’est effectivement un changement permanent si on veut faire son beurre dans ce créneau et ça vaut vraiment pour tous les créneaux. Les Blogs BD passés par Instagram, idem….on en revient.
    Sur le créneau de l’informatique, il faut considérer aussi que le terminal a changé, que c’est plus morcelé encore qu’avant avec du mobile, de la tablette, du PC gamer, du PC réseau/serveur. Réduire la voilure, se spécialiser, peut-être que ça peut marcher mais quand je vois les sites US du même genre, ça fait des choix éditoriaux sans doute plus marqués que ce qu’a fait NI ou CPC.

  6. Salut 🙂

    Même si ça reste de la presse indépendant,e il me semble que ça n’est pas le même enjeu des pour des journaux genre NextImpact ou CanardPC et une presse »généraliste » (qu’on pourrait définir comme parlant de tous les aspects de notre monde).

    Ce qui est vraiment important dans l’informatique et dont parle NextImpact à vocation à être traité dans la presse généraliste.

    Autrement dit, que ces journaux meurent, c’est bien un problème économique, que la presse généraliste meure, c’est un problème démocratique si on admet qu’il faut être bien informé pour être en mesure de prendre des décisions le plus possible en conscience.

    De ce fait, autant ce que tu dis s’applique à des journaux avec thème de niche, autant, ça ne me semble pas vrai pour la presse généraliste qui doit être en quelque sorte garantie et protégée.

    1. C’est aussi pour cela qu’il existe des journaux d’état. La question se pose alors de leur neutralité, néanmoins entre TF1 et FranceTV, je préfère FranceTV.

  7. Même si je préfère de loin regarder ou écouter les médias publics que les autres canaux, ça reste une presse qui n’est pas indépendante et qui dépend beaucoup de la bonne volontée du pouvoir en place.

    Il existe donc des mécanismes pour faciliter le financement de la presse indépendante (https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2015/02/05/un-amendement-charb-pour-soutenir-la-presse_4570631_3236.html) je ne sais pas si Nextimpact y est éligible mais ça reste du financement participatif.

    A noter que la presse généraliste non indépendante n’est pas nécessairement à l’équilibre financièrement non plus et renflouée par des grandes fortunes. Comme il est fort peu probable que ça soit fait complètement à fonds perdus, doit-on se poser la question de la’presse uniquement en terme de rentabilité économique ? Pas certain pour ma part, même si je ne met pas dans le même pannier Mediapart et Nextimpact 😉

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