Le prof ne m’aime pas

C’est une phrase qu’on entend très souvent, le prof ne m’aime pas. Je vais vous expliquer pourquoi il s’agit d’une erreur de jugement. Ce billet m’a été inspiré par une de mes élèves de troisième qui, après lui avoir demandé de se taire pour la douzième fois, me dit : « ça y est, vous ne m’aimez plus ».

Personne ne sait de quoi votre demain est fait

Dans l’article sur l’orientation, j’avais expliqué qu’aucun professeur n’avait la science infuse et que personne n’avait de boule de cristal. Dans l’article sur les réseaux sociaux, j’ai écrit que j’avais des élèves qui avaient des destins plutôt extraordinaires. Je racontais que je ne ferais pas de compte Facebook pour retrouver l’ancienne génération des élèves et qu’elle n’était pas présente sur Instagram. Il apparaît que finalement ils sont plus nombreux que je ne le pensais, si bien que je peux encore vous donner quelques parcours atypiques.

J’ai une élève qui a réussi un BAC PRO SMR, l’ancien SAPAT. Elle n’avait pas d’argent pour faire le BTS, elle a passé un an à faire des ménages. L’année suivante, elle a trouvé un contrat d’apprentissage. Aujourd’hui elle est directrice des ventes et fait une validation des acquis pour avoir un master. Une autre encore me racontait qu’elle avait acheté un terrain de 4 hectares au fin fond de l’Aveyron. Elle vise à l’autosuffisance et construit sa tiny house. Il me paraît fondamental de revenir sur ce point, il n’y a pas un prof qui peut vous prédire ce que vous ferez demain. La notion d’échec ou de réussite est un concept qui n’a que peu de sens. Avoir un diplôme n’est pas un critère obligatoire de réussite ni de bonheur.

Il ne faut toutefois pas négliger ce que disent les enseignants qui ne racontent pas toujours n’importe quoi. Lorsqu’un adulte vous dit qu’il faut travailler, être courageux, aller vers les autres, ce n’est que du bon sens.

Le conseiller d’orientation

Ma prof de maths ne m’aimait pas

J’ai subi pendant deux ans au collège, en 4ᵉ et en 3ᵉ, une prof de maths avec qui ça ne se passait pas bien. Durant ces deux années, j’ai eu une baisse significative de mes résultats que j’ai eu du mal à m’expliquer. Je pense que je travaillais mais mal, que j’aurais dû passer plus de temps à faire des exercices que de comprendre.

Nous étions à une autre époque, il y a en effet plus de 30 ans. L’enseignant avait une posture, cette dame mettait une blouse pour faire ses cours. De forte corpulence, un jour, elle passe à travers l’estrade. La posture de l’enseignant a totalement changé, en tout cas je n’ai pas celle-ci. Je me suis cassé cinquante fois la figure devant mes élèves, le fou rire est naturel. Et moi, forcément, quand je la vois passer à travers, sa chaussure à talon coincée, je ris. Nous sommes plusieurs, mais elle s’en prend à moi de façon très virulente. Elle menace d’appeler mon père, etc. Moi aussi, j’ai sorti la litanie « le prof ne m’aime pas ».

La problématique, c’est que finalement l’élève va développer de la rancœur. Elle s’exprime de différentes façons, l’une des plus significatives, c’est de cracher sa réussite à la figure. Lorsque j’ai eu mon BAC C, le BAC mathématique et physique de l’époque, je suis retourné au collège. Cette femme que j’ai profondément détestée ne se rappelait pas de moi. Elle était finalement contente que j’aie eu mon BAC et m’a rapidement expédié, me laissant sur ma faim.

L’estrade est je pense désormais interdite, la peur de l’accident !

Le prof ne m’aime pas. Pas plus que le boulanger, l’électricien ou le garagiste

Lorsqu’on est adolescent, on est une explosion permanente d’émotions, d’hormones et de sentiments. On en vient finalement à oublier que l’enseignant n’est finalement qu’un professionnel comme un autre. Il n’y a donc pas d’histoire d’amour ou de désamour, il y a juste une expertise.

Alors effectivement tout le monde me dira que c’est différent. Lorsque le garagiste pose un diagnostic sur votre automobile et qu’il vous donne l’addition, c’est sûr que c’est différent du sempiternel trois heures de colle. Et pourtant pas tant que ça. On oublie que les enseignants restent des professionnels de l’éducation et qu’ils posent aussi des diagnostics à un instant t . Considérer finalement que l’élève, c’est comme une voiture, c’est peut-être un peu rude, mais ce n’est pas si éloigné de la réalité.

Un jeune qui lira ce message et qui est bourré d’émotions, d’hormones et de sentiments hurlera sa rage en disant que ce n’est pas pareil, pourtant, c’est pareil. Et c’est d’ailleurs pour cela que le métier est si compliqué, car nous mêlons nos propres sentiments. Néanmoins, ni la haine ni l’amour n’en font partie. La colère, l’exaspération, la déception, la joie, mais ni l’amour, ni la haine.

Notre rôle reste celui d’élever les jeunes dans le sens élévation et pas élevage de poules. Lorsque à une époque, nous n’avions qu’une mission d’enseignement, aujourd’hui nous sommes aussi des éducateurs. Lorsque je signifie à mon élève qu’il n’est pas possible de rester avec 30 personnes dans une pièce en prenant la parole n’importe comment et que soit elle s’arrête soit je la mets dehors, il n’est pas question d’amour. Il s’agit tout simplement d’éducation.

Les émotions d’un ado en 3 minutes

Comme partout, des bons, des mauvais et des idiots

À partir du moment où on a compris qu’il ne s’agit pas d’une question d’amour, mais de métier, reste la qualité. Avec le recul, si je devais faire une critique objective et professionnelle sur ma prof de maths de l’époque, elle serait unique. Elle n’a pas réalisé de diagnostic sur mon échec. Elle ne m’a pas proposé de méthode, de façon pour réussir à remonter mes notes à part me proposer des cours particuliers. Vous allez trouver le propos un peu rancunier, mais c’est la vérité. Elle donnait des cours payants à ses élèves. Je faisais partie des familles qui n’avait pas les moyens, j’ai fait autrement. Je pose donc un regard professionnel sévère en tant que professionnel moi-même. En tout cas, ce qui est certain, c’est que pour elle « le prof ne m’aime pas », ne pouvait pas s’appliquer. Pour elle, l’élève, c’était effectivement comme une voiture ou une baguette de pain vendue, une rentrée d’argent, un métier.

L’enseignement n’échappe pas, comme les autres métiers, à la compétence, au sérieux, et parfois à la stupidité. Nous croisons tous des abrutis au quotidien, mon métier n’y échappe pas. Mon métier n’échappe pas non plus à l’erreur de diagnostic. Quand on sait que parfois le boulanger qui fait son métier de façon répétitive depuis des décennies va se retrouver avec une fournée trop cuite, comment pouvons-nous échapper à l’erreur ?

La différence, c’est que nos erreurs peuvent être dramatiques, blessantes, car ce ne sont pas des baguettes ou des voitures que nous avons en face, mais bien des adolescents.

Arrêtez de penser que le prof ne m’aime pas

J’ai écrit ce billet pour faire un peu réfléchir, ceux qui iront googler dans un moment de désespoir, persuadés d’être persécutés. C’est bien sûr totalement inutile pour un jeune qui de toute façon n’a que peu de capacités objectives. Avec les années néanmoins, lorsqu’on s’éloigne de l’école, que l’émotion est moins présente, il faudra faire l’effort de se souvenir que la majorité des enseignants qu’on a pu croiser dans sa vie était avant tout bienveillante.

Le but de l’enseignant est de contribuer à la construction de la société, expliquer à un jeune qu’il ne vaut rien, qu’il ne fera rien est totalement contreproductif. Par contre, lui mettre un coup de pied aux fesses de temps en temps, lui permettra d’avancer.

4 Comments

  1. Je place ici la phrase de mon pote prof d’anglais:
    «C’est pas que je t’aime pas, c’est juste que je te déteste un peu plus que tous les autres»

    LOL

  2. Moi, c’est mes chefs qui ne n’aimaient pas , vas savoir pourquoi ? Enfin j’ai une petite idée quand même 🙂
    A pluche.

Comments are closed.