Du cannibalisme à la Préhistoire ?

Les oiseaux chantent, il fait beau, je suis de bonne humeur, chers lecteurs c’est donc le moment idéal pour parler un peu du cannibalisme. J’aurais certes pu vous proposer un petit chapitre sur les mille et une façons de cuisiner votre voisin, mais cela sera pour une prochaine fois. Je vous propose plutôt de remonter le temps et de voir ce qu’il en était à la Préhistoire. Rassurez-vous l’article devrait être relativement acceptable, néanmoins si vraiment c’est un sujet que vous ne pouvez pas supporter je vous invite à fuir en vitesse. C’est bon nous sommes entre personnes à la curiosité morbide ? Alors, allons-y. Y avait-il du cannibalisme à la Préhistoire ?

C’est quoi le cannibalisme ? Et la Préhistoire ?

Alors, c’est quoi le cannibalisme ? Pour rester simple c’est la pratique qui consiste à se nourrir de la chair d’un individu de sa propre espèce. Quand c’est le cas pour l’être humain on parle donc d’anthropophagie. Dans cet article, lorsque nous allons utiliser le mot cannibalisme, cela sera pour évoquer le phénomène chez l’humain. 

Et la Préhistoire alors qu’est-ce que c’est ? Je constate souvent que finalement cette notion reste très vague dans l’esprit des gens (il faut dire que je n’ai pas vraiment le souvenir de l’avoir étudié à l’école), donc un petit rappel peut être bénéfique. La Préhistoire c’est la période qui remonte à avant l’invention de l’écriture. En règle générale on peut dire que cela commence il y a 2 millions d’années et que cela se termine vers 2300 avant notre ère.

On divise la période en deux grands ensembles (parfois trois mais restons simples), le Paléolithique et le Néolithique. La transition entre les deux arrivant vers 10 000 avant notre ère avec la domestication des animaux et des végétaux. Le passage au Néolithique est donc aussi le passage à l’agriculture et à l’élevage.

Voilà pour ces quelques lignes de définition nécessaire. Pour cet article nous allons surtout nous concentrer sur l’Europe puisque l’on ne peut pas parler du monde entier, donc souvenez-vous que cela peut être différent dans d’autres endroits du monde.

Carte présentant l’arrivée des peuples Néolithiques en méditerranée

Le cannibalisme dans l’histoire de la recherche

La question se pose: le cannibalisme était-il vraiment pratiqué à la Préhistoire ? La question s’est posée tout au long de l’histoire de la recherche. Je vous passe les détails, mais si le cannibalisme a été observé par des voyageurs dès le XVIème siècle dans des sociétés traditionnelles l’accepter chez nos ancêtres européens a été un peu compliqué.

Si certains auteurs du XIXème siècle pensaient qu’en France il n’y a jamais eu de telles pratiques puisqu’il y a eu très tôt la culture des céréales qui permettaient une alimentation suffisante. Les propos vont rapidement se nuancer avec plusieurs découvertes, néanmoins on persiste plutôt à dire que c’était une pratique rare qui arrivait en réaction à des famines. L’idée principale était alors de dire que oui ça a existé, mais très peu en Europe. Les chercheurs se réfugient alors beaucoup derrière l’idée que l’on manque de preuve pour réellement en être certain (Attention c’était là l’idée la plus commune, mais certains auteurs étaient plus nuancés).

C’est surtout au XXème siècle avec le développement de meilleures méthodes de fouilles que l’on débat à nouveau sur le sujet du cannibalisme. On analyse à nouveau les sites fouillés anciennement, on se base plus sur l’ethnologie et l’observation des sociétés traditionnelles. De plus, on se base également plus volontiers sur les méthodes de l’anthropologie. C’est le début du questionnement sur la pratique et les différentes raisons pour lesquelles on pouvait s’adonner au cannibalisme. Ce qui va également surtout intéresser les chercheurs du XXème siècle, ce sont les éléments qui permettent de reconnaître la présence de cette pratique sur un site archéologique.

Mais du coup comment peut-on identifier le cannibalisme sur un site ?

Les traces que laissent le cannibalisme à la Préhistoire

Lorsque l’on fouille un site préhistorique, le type de vestige que l’on retrouve est souvent limité. Souvent on a principalement des fragments d’ossements et des éclats de silex. Croyez-moi c’est bien peu pour réussir à établir des interprétations. Fort heureusement les ossements livrent souvent un grand nombre d’informations et dans le cas du cannibalisme ce sont eux qui apportent le plus d’indice.

Exemple d’éclat de silex et d’os trouvés pendant une de mes fouilles

Alors, quelles sont les traces que laissent le cannibalisme ? La plus évidente c’est sans aucun doute les traces de décharnement présentes sur les os humains. Hé bien oui comme pour les animaux si vous voulez vous nourrir d’un humain il faut séparer la chair des os. Il y a de très nombreux exemples sur différents sites: Herxheim, la grotte des Perrats, la grotte du Placard etc.. Souvent ces marques sont visibles aux niveaux des tendons et au niveau des crânes on retrouve ce type de traces de découpes proches des yeux, des oreilles, du nez et de la langue. Cependant, attention ce n’est pas une preuve suffisante.

Hé bien oui ça peut sembler fou, mais il y a d’autres raisons qui peuvent pousser à retirer la chair d’un corps. Notamment la sépulture en deux temps, un type de pratique funéraire que l’on connait en ethnologie. Pour faire simple, cela consiste dans un premier temps à retirer toutes les parties molles d’un cadavre pour en inhumer seulement les os. Malgré tout, il est possible de renforcer l’idée de cannibalisme à partir de ces traces de décarnisation avec d’autres éléments.

Par exemple, si un même site à livré des os d’animaux et humains avec ces traces alors on peut les comparer. En effet les méthodes sont les mêmes c’est peut-être que l’homme se considérait également comme une source de nourriture. Donc, si les ressemblances sont grandes cela peut être en faveur de l’hypothèse du cannibalisme (encore faut-il prouver que ces animaux sont décharnés pour la nourriture et pas pour des causes symboliques). Il peut s’ajouter un autre indice. En effet, si on jette les os humains avec les restes fauniques on peut alors envisager qu’il s’agit de déchets alimentaires.

Toujours plus d’indices

Autre indice qu’il ne faut pas négliger c’est les traces de cuissons. Parfois certains os semblent avoir été brûlés. Mais attention si cela peut en effet être des traces liées à la cuisson et à la consommation cela peut aussi être accidentel. On peut également évoquer les os longs brisés. Car si la majeure partie du corps humain est comestible, la moelle osseuse est une denrée très appréciée des peuples préhistoriques. Il n’est donc pas rare de trouver des os longs d’animaux qui ont été brisés pour en extraire la moelle. Or cela arrive parfois également sur les os humains. Là encore il convient de rester prudent, car les os peuvent se briser sous la pression des sédiments. 

Avec ces quelques exemples vous aurez sans doute compris qu’il n’est pas simple d’interpréter les témoins d’actes cannibales. Un seul de ces éléments ne permet souvent pas de trancher, c’est l’accumulation de preuves qui le permet. Comme traces certaines du cannibalisme il faudrait pouvoir trouver un coprolithe (déjection fossile) humain contenant de la chair humaine. Ou alors il faudrait pouvoir identifier des marques de dents humaines sur des os humains avec certitudes. Les archéologues n’ont pas encore trouvés de tels éléments à ma connaissance.

Les types de cannibalisme

Identifier le cannibalisme c’est une chose, mais comprendre de quel type de cannibalisme il s’agit en est une autre. En effet, on ne mange pas toujours des autres êtres humains pour les mêmes raisons. Il y a bien entendu de nombreuses façons de classer cette pratique, je vous propose ici l’un de ces classements. Bruno Boulestin a proposé un de ces classements. C’est celui-ci que j’évoque car le chercheur est un spécialiste du sujet.

Tout d’abord il convient de différencier le cannibalisme d’exception de celui institutionnalisé. En effet, le cannibalisme existe parfois pendant une famine par exemple même si la pratique n’est pas acceptée par la société. Au contraire le groupe accepte parfois la pratique voir l’encadre. Dans ce cas, il peut y avoir différentes raisons, voyons donc lesquelles.

Tout d’abord parlons de l’endocannibalisme. Cela consiste à se nourrir d’un membre de son propre groupe. N’y voyez pas forcément là un acte d’une grande barbarie au contraire cela peut-être un acte de respect. Lors de funérailles il n’est pas rare que dans les sociétés traditionnelles mangent un morceau du mort pour hériter de ses vertus et de ses connaissances. Il s’agit donc de quelque chose qui peut faire partie des rites ordinaires.

Ensuite, il y a l’exocannibalisme qui est moins sympathique. Il s’agit de se nourrir d’un individu extérieur au groupe. C’est souvent une action que l’on réserve aux ennemis vaincus. Pourquoi ? Cela peut être dans le but de s’approprier la force de l’adversaire, mais aussi d’effrayer les ennemis. Cependant, c’est aussi un mode d’humiliation, car qu’est-ce qui peut être plus humiliant que de finir transformer en excrément ? 

Ainsi je ne peux pas m’empêcher d’évoquer les paroles d’un chef Maoris de Nouvelle-Zélande rapportées dans le livre “Les guerres préhistoriques” de Lawrence Keeley. Voici ce que disait le chef en s’adressant à une tête d’un ennemie: “Tu voulais t’enfuir, n’est-ce pas ? Mais mon meri (massue guerrière) t’as rattrapé: et tu as été cuisiné et tu es devenu de la nourriture pour ma bouche. Et où est ton père ? Il a été cuisiné. Et où est ton frère ? Il a été mangé. Et où est ta femme ? Elle est là c’est une femme pour moi. Et où sont tes enfants ? Les voilà, ils portent des charges sur leur dos; ce sont mes esclaves.”

Petit diagramme sur les différents types de cannibalisme avec la distinction entre l’institutionnalisé et celui d’exception

Conclusion

En conclusion, le cannibalisme est un phénomène complexe. Il n’y a pas qu’une seule raison à son existence que cela soit dans les sociétés traditionnelles ou à la Préhistoire. Vous l’aurez également compris si l’on sait que c’est une pratique qui a existé durant cette époque lointaine, elle n’est pour autant pas simple à identifier sur un site archéologique. J’espère que ce court article a été instructif. Vous trouverez ci-dessous une vidéo réalisée sur le sujet dans laquelle vous trouverez les sources de cet article.